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Conceptualisation de deux cas cliniques d’Angoisse de Sexuation Pubertaire (ASP) confondus avec de la dysphorie de genre

Pamela Grignon, psychologue-psychothérapeute TCC

1. DANIELLE

1.1 Le Trouble du Spectre de l’Autisme sans Déficience Intellectuelle :

 

Cette première partie expose le cas de Danielle qui s’est exprimée dans l’interview de Sophie Robert (dragonbleutv.com) avec Magali Pignard et moi-même.

La période de l’adolescence est une période qui est naturellement troublée. La recherche d’identité, l’adaptation à son corps changeant, la recherche d’un groupe de pairs, sont des épreuves pour de nombreux jeunes, si ce n’est pour tous les jeunes. L’idéologie Transgenre vient dire aujourd’hui aux adolescents que même s’ils sont « assignés » femmes ou homme à la naissance ils peuvent malgré tout avoir un psychisme de l’autre sexe si leurs comportements correspondent aux « comportements » normalement attribués à l’autre sexe. Quoi de plus sexiste que de dire à nos jeunes femmes que si elles aiment jouer au foot ou aux jeux vidéo, elles sont sûrement des hommes…ou dire à nos jeunes hommes que s’ils sont empathiques et émotifs ils se rapprochent davantage de la féminité… Ces jeunes ressentent alors un sentiment de décalage à l’égard des codes sociaux stéréotypés de leur sexe, qu’ils interprètent comme ayant le sentiment profond de ne pas être de leur sexe constaté à la naissance. Ce sentiment s’active souvent automatiquement, c’est-à-dire inconsciemment, sans que la personne ne sache pourquoi. Comme beaucoup de sentiments, la cause n’est pas toujours consciente, d’où la nécessité d’avoir l’aide d’un ou d’une psychothérapeute pour démêler ces automatismes.

Le vieux dualisme cartésien corps /esprit est pourtant bien dépassé, d’ailleurs Antonio Damasio, célèbre neurologue, nous dit qu’un « esprit, ce qui définit une personne, requiert un corps, et qu’un corps, un corps humain, assurément, engendre naturellement un seul esprit. Un esprit si étroitement façonné par le corps et destiné à ne servir qu’un seul et unique esprit pouvant y faire son apparition »[1]. L’esprit et le corps ne font qu’un, contrairement à ce que veut nous faire croire l’idéologie transgenre. L’esprit n’est pas une entité toute puissante piégée dans une carcasse qui serait sa prison et qu’il faudrait modifier pour qu’il corresponde à une âme sexuée.

Les jeunes sont influençables dans cette période d’adaptation qu’est l’adolescence et les personnes TSA, de part leurs particularités de fonctionnement, le sont d’autant plus. Selon les études les cas d’autisme dans la population qui se dit « transgenre » serait 3 à 6 fois plus fréquents que dans la population générale. Dans certaines études les chercheurs supposent que 40% des enfants qui se disent trans, seraient dans le spectre de l’autisme. Les transactivistes et les médecins transaffirmatifs prétextent que cette co-occurrence est due à l’atypie des personnes TSA mais nient complètement le fait que le fonctionnement atypique des personnes TSA leur fasse confondre les signes de leur TSA avec la dysphorie de genre.

Nous souhaitons montrer que ces jeunes personnes TSA diagnostiquées à tort « dysphoriques de genre » relèvent en réalité d’une autre entité clinique que nous avons nommé ASP – Angoisse de Sexuation Pubertaire (C. Masson et col. 2024)[2]. L’objectif est d’exposer pourquoi, avec l’Observatoire la Petite Sirène (OPS), nous avons parlé d’une nouvelle proposition clinique, qui selon nous correspond davantage aux réelles problématiques de la nouvelle cohorte de ces jeunes (Rapid Onset Gender Dysphoria, Littman 2018[3]).

Danielle a été diagnostiquée avec un Trouble du Spectre de l’Autisme (TSA) à l’âge de 12 ans. Le TSA est un trouble neurodéveloppemental qui provoque des perturbations d’intensité variable en termes de gravité et peut se présenter avec ou sans déficience intellectuelle. Pour le cas de Danielle on parle de TSA sans DI c’est-à-dire sans déficience intellectuelle. Le TSA implique souvent différentes perturbations autant sur le plan cognitif, psychologique et social que sur le plan de la proprioception, de la perception des sensations internes et de la perception sensorielle.

En ce qui concerne le fonctionnement cognitif et psychologique, les personnes TSA expriment fréquemment et expérimentent de manière significative davantage d’anxiété. Le sentiment de danger et d’insécurité se manifesterait plus facilement et expliquerait que les personnes TSA développent davantage de troubles anxieux. Les émotions pourraient s’exprimer plus fortement (on parle d’hypersensibilité) alors que certaines émotions peuvent être moins vives, comme si elles étaient en sourdine, « étouffées ». Toute personne TSA est différente et le point commun réside dans ces dysfonctionnements allant de l’hyposensibilité à l’hypersensibilité émotionnelle. On constate exactement le même phénomène au niveau des sensations corporelles internes : par exemple certaines personnes TSA ne ressentent pas la faim ou la satiété, certaines ressentent très peu la douleur et peuvent se faire tatouer plus longtemps que la majeure partie des gens, le désir et la libido peuvent être aussi quasi absentes, inversement chez d’autres personnes, elles sont intensément ressenties.

Les personnes TSA présentent également des tendances obsessionnelles fortes. Lorsqu’elles sont motivées, intéressées ou préoccupées par un thème elles peuvent y penser de manière quasi constante avec par exemple des conséquences sur leur sommeil, leur alimentation…etc. Elles présentent d’ailleurs fréquemment ce qu’on appelle des intérêts restreints : des loisirs ou intérêts qui vont devenir très obsessionnels et sortir du champ du « normal » car les pensées et comportement orientés vers ces intérêts seront envahissants au point de perturber leur quotidien.

 

1.2 Anamnèse :

 

Danielle a été diagnostiquée à l’âge de 12 ans après plusieurs années de difficultés d’adaptation sociale et d’incompréhension des codes sociaux. Après une période d’errance thérapeutique pour comprendre les difficultés de leur fille, les parents de Danielle ont fini par trouver une professionnelle qui lui a diagnostiqué un TSA. Beaucoup de personnes autistes sont diagnostiquées bien plus tard, parfois à 30, 40 ou 50 ans… mais pour Danielle, qui vivait des difficultés sociales depuis son entrée à l’école, elle se souvient que le diagnostic fut un soulagement. Au collège plus particulièrement, elle se sent décalée, différente, même avec ses « amies » elle ne sent pas de connexions particulières. En effet, les personnes TSA ressentent fréquemment une anxiété sociale, notamment à cause de leurs difficultés pour comprendre les codes sociaux (comment savoir se comporter en fonction des différents contextes). Le manque de compréhension de leurs émotions leur fait souvent défaut, mais aussi la compréhension des émotions des autres, de leurs motivations et de leurs intentions (défaut de théorie de l’esprit). La peur du rejet est intense pour une majeure partie d’entre eux et rend difficile l’exposition aux situations sociales.

Le collège se passe mal pour Danielle, elle est rejetée, harcelée… elle vit aussi très mal l’apparition de ses règles à 11 ans. Elle ne savait pas ce qu’étaient les règles un mois avant de les avoir et elle se souvient avoir très mal vécu ce changement dans son corps, l’apparition des douleurs et toute la « logistique ». Elle vit mal l’apparition de sa poitrine, elle commence à rejeter son corps et à ressentir du dégoût et de l’angoisse, ce qui ne l’aide pas à améliorer son anxiété sociale. La résistance au changement est très forte chez les personnes anxieuses et donc d’autant plus chez les personnes TSA. Les changements corporels sont mal vécus par Danielle et c’est pour cela qu’elle cherche massivement un sentiment de contrôle pour apaiser ses angoisses.

Et puis Danielle, comme tous les adolescents, passe du temps sur les réseaux sociaux. Elle fait des recherches sur internet dans le but de comprendre son rejet du corps et ses difficultés de communication : « Je trainais beaucoup sur le net, j’avais du mal avec les changements dus à ma puberté. J’avais beaucoup de mal à comprendre d’où venait mon mal être malgré mon diagnostic de TSA. Les psychologues que je voyais ne s’y connaissaient pas beaucoup car en France les psychologues sont mal formés. Sur le net j’ai parlé avec des communautés trans. Il y avait beaucoup de personnes avec un TSA ou des traits TSA et ou TDA/H (Trouble de l’attention avec ou sans hyperactivité). On avait le même mal être et on se ressemblait beaucoup. On m’a expliqué que le simple fait de se poser des questions de « genre » voulait sûrement dire que j’étais trans. Baigner dans ce groupe de personnes avec les mêmes traits de fonctionnement, avec ces personnes qui étaient bien avancées dans cette réflexion de genre… c’est comme ça que je suis tombé dedans. J’ai cru que comme je me sentais mal dans mon identité alors je me sentais mal dans mon corps… alors que c’était exactement l’inverse, je me sentais mal dans mon corps et j’ai cru que c’était mon identité qui me posait problème. »

Danielle prend conscience de sa bisexualité et se met en couple avec une jeune femme qui décide de devenir un homme trans. Cette personne est allée jusqu’à la prise d’hormone et une mastectomie. Danielle côtoie également un autre ami devenu une femme trans. Danielle effectue sa transition sociale au lycée mais ne va pas plus loin, elle ne prendra pas d’hormones car ses parents la lui refusent. Elle passe beaucoup de temps, et de manière très obsessionnelle à se renseigner sur la testostérone, ça la rassure, elle se dit qu’elle sera un homme et que ce sera plus simple de vivre de cette manière. Elle se dit également que les changements dus à la testostérone sont bien documentés et prévisibles et que c’est bien mieux que de rester dans le corps d’une femme qu’elle juge davantage imprévisible et nuisible. Notons que le comportement de Danielle ici est classique chez les personnes TSA : elle développe un intérêt obsessionnel vis-à-vis de la transidentité, qui lui parait être la meilleure solution pour lui donner un sentiment de contrôle pour la sécuriser. Les recherches et les pensées obsessionnelles donnent le sentiment d’agir contre les changements corporels et les angoisses qui y sont associées. Elle se projette dans un futur prévisible qui la rassure, avec des changements « prédits » par les sites d’explications sur les changements liés à la testostérone.

Danielle fait sa rentrée en première année de Biologie et se retrouve plongée dans son travail universitaire. Elle se focalise alors de manière très obsessionnelle sur ses cours et délaisse de plus en plus la question de la transidentité. Elle présente moins de ruminations sur la transidentité, elle ne cherche plus d’informations sur les hormones et la chirurgie, et son état psychologique ainsi que son rejet du corps, s’apaise. En parallèle elle se sépare de son amie trans, et son ami transféminin redevient un homme et l’encourage à réfléchir… Danielle réalise qu’à ce moment-là « elle s’est autorisée à se poser des questions » sur les raisons de sa volonté de changer de sexe. Elle se rend compte qu’il n’y avait rien d’inné dans sa « transidentité » et qu’en réalité qu’elle souhaitait changer de sexe à cause de son mal être lié à son TSA, son rejet des changements corporels féminins, son besoin de contrôle et de l’influence des réseaux sociaux.

 

 

1.3 Comment expliquer ce phénomène par le biais des Thérapies Cognitives et Comportementales (TCC) ?

 

La réponse donnée par la « transidentité » donne des possibilités d’actions concrètes pour tenter de réguler une problématique émotionnelle qui parait insaisissable car elle n’est pas comprise. Danielle n’a pas pu explorer avec un ou une professionnelle la question de son rejet du corps et de sa difficulté d’adaptation à la puberté. Elle n’a pas pu explorer la raison de l’émergence de ce fameux sentiment d’être un homme ou de ne pas être une femme. Changer de nom, faire des recherches sur internet, trouver un groupe d’appartenance, cacher sa poitrine, prendre de la testostérone, effectuer une chirurgie…etc. Ces comportements vont permettre d’agir rapidement sur l’émotion pour tenter de la neutraliser. Mais comme il est impossible de changer de sexe, ces comportements vont calmer l’émotion sur le court terme, mais sur le long terme cela augmente le rejet du corps. Une anorexique fonctionnera selon le même mode opératoire : « je ne supporte pas mes bourrelets, je vais arrêter de manger pour maigrir. » Mais l’insatisfaction corporelle grandit, le rejet du corps augmente, et ce n’est jamais assez. Danielle a développé une angoisse de sexuation pubertaire (ASP) et non pas une dysphorie de genre.

En TCC nous dirons que Danielle s’est habituée (conditionnée) à force de mal réagir à ses émotions et sentiments négatifs provoqués par la perception de ses changements corporels, à stresser et angoisser de manière réflexe dès qu’elle pense à ces changements, dès qu’elle les perçoit ou les observe sur son corps. Lorsque nous sommes dans un état émotionnel particulier (ici dans le spectre de la peur) nous avons forcément des pensées en adéquation avec cet état émotionnel qui vont s’activer automatiquement. Elles peuvent être plus ou moins conscientes. Chez Danielle ces émotions activent un sentiment (mélange de pensées et d’émotions) d’insécurité et des pensées automatiques qui émergent sur le moment comme par exemple : « je ne veux pas avoir de poitrine » ou « je suis sûrement un garçon ». En accord avec ces pensées et ces émotions, Danielle met en place des stratégies comportementales qui vont renforcer les conditionnements négatifs des émotions. Elle met en place des évitements « subtils » : je cache ma poitrine. Les évitements subtils sont des comportements d’évitement qui font croire de manière illusoire à Danielle qu’elle peut contrôler son corps et supprimer sa poitrine. Elle la cache mais elle est toujours là, et elle sera toujours une femme, quoi qu’elle fasse. Tout comme une personne avec un TOC de contamination se rassure, de manière illusoire, sur le fait qu’elle se protège de toutes la maladies graves en se lavant les mains.

La conceptualisation avec la grille SECCA (Situation, Emotions, Cognitions c’est-à-dire les pensées et les images mentales, Comportements et Anticipations) permet de schématiser ce conditionnement :

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La conceptualisation avec le cercle vicieux (C. Cungi) permet de mettre en évidence les conséquences sur le court terme qui montrent au début une certaine efficacité dans les comportements de contrôle de Danielle, mais une inefficacité avec une aggravation du trouble sur le long terme :

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Finalement, avec le temps, l’adolescence fait son travail et Danielle s’habitue à son corps, elle apprend au fur et à mesure des années à mieux maitriser les codes sociaux et le simple fait de se focaliser sur son travail l’aide à ne plus ruminer sur sa transidentité. Si les ruminations s’apaisent, l’anxiété s’apaise également et l’insatisfaction corporelle baisse.

Lorsque Danielle se concentre sur ses études, elle lâche prise sur ses ruminations et ses obsessions de changements de sexe et c’est ainsi que son mal être s’atténue. Elle met ensuite les bons mots sur ses difficultés, davantage liées à son TSA et ses relations sociales, et son humeur s’améliore.

En TCC et surtout dans les dernières vagues de TCC (ACT, TCC émotionnelles) nous insistons sur la nécessité de travailler sa tolérance aux émotions négatives. Ces émotions sont des informations, elles nous signalent un changement, mais ce changement n’est pas fatalement dangereux. L’objectif est d’accepter cette émotion sans chercher à la faire disparaitre, le temps de s’habituer aux changements. L’émotion sera ainsi moins forte et disparaitra car le changement n’est pas dangereux. Si on rentre dans l’évitement d’une émotion de manière inadaptée notre cerveau l’identifie comme dangereuse en soi et son expression grandit avec le temps : la personne « s’hypersensibilise ». Il faut donc s’exposer à cette émotion sans chercher à la contrôler et c’est ainsi que la personne se « désensibilise ». La conceptualisation de Barlow expose clairement cet aspect :

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2. LYO

2.1. Anamnèse 

Le cas de Lyo est particulièrement intéressant car son rejet de tout ce qui à trait le plus souvent au sexe féminin, est rejeté dès la petite enfance. Le diagnostic de dysphorie de genre et avant de transsexualisme, précisait que le rejet des organes génitaux et des vêtements généralement attribués à son sexe commence dès l’enfance. Lyo refuse les robes dès sa plus tendre enfance, elle se souvient même qu’elle criait lorsque sa mère s’approchait d’elle avec une robe. Elle refusait également de jouer aux barbies et n’aimait pas son prénom. A l’adolescence Lyo se souvient qu’elle prend conscience de son corps, notamment avec l’arrivée de la puberté et des changements corporels : « j’ai très mal supporté les changements corporels, tout en « gonflement », comme une femme en fait… ». Lyo explique qu’elle remarque le changement des regards sur son corps et qu’elle le supporte mal, elle aimerait que ça s’arrête. En parallèle elle découvre la sexualité par le biais des films pornographiques à 8 ans, beaucoup trop tôt, et à 14 ans elle prend conscience de son homosexualité. Les sites pornographiques lui font penser que la place de la femme, dans la sexualité notamment, n’est pas enviable…

En tant que jeune adulte Lyo ne se reconnait pas non plus dans les codes sociaux des personnes homosexuelles. Elle semble rechercher un sentiment d’appartenance à un groupe qu’elle peine à trouver. Au fur et à mesure que le temps passe elle est attirée par des femmes très féminines, qu’elle définit comme des femmes, et elle s’éloigne de plus en plus de cette « féminité » et se sent davantage « masculine ». La haine de son corps grandit avec le temps, surtout en ce qui concerne sa poitrine : « les seins sont facilement « effleurables », « touchables » car ils dépassent, et ils sont très sexualisés par les hommes. » Lyo commence à cacher sa poitrine et passe rapidement de la communité gay à la communauté trans. Elle se met à penser qu’elle n’est ni un homme, ni une femme mais « autre chose ». Lyo consulte des psychologues qui ne prennent pas au sérieux son mal être et ne cherchent pas à aller plus loin dans la réflexion pour l’aider à comprendre sa souffrance. Les psychologues et psychiatres ne lui apportant pas de solutions elle se tourne vers les associations LGBT. Elle ressent un grand soulagement à leur contact : « enfin je peux être qui je veux, qui je suis vraiment ; toute mon enfance et mes particularités étaient validées ». L’association LGBT lui a conseillé un psychiatre « spécialisé », donc une personne transaffirmative, qui a validé ses croyances sans les questionner.

Lyo se lance dans une double mastectomie et raconte qu’à son réveil elle avait des envies suicidaires. Le choc de la réalité, l’ablation de sa poitrine, a provoqué un sentiment profond de détresse chez elle. Les personnes de la communauté LGBT l’ont rassurée : « c’est normal, ça va passer, cela fait partie du processus ». Après plusieurs mois d’adaptation compliqués elle parvient à se convaincre à nouveau qu’elle est un homme. Lyo explique que la dysphorie a continué d’augmenter malgré son opération, ce qui la pousse à continuer son chemin avec la prise de testostérone.

Les effets de la testostérone, qui donne de l’énergie, lui fait du bien. La voix change, la dysphorie s’apaise un peu mais au bout de quelque temps les effets positifs de la testostérone ne suffisent plus. De plus, Lyo explique que la dissonance cognitive est toujours présente quoi qu’elle fasse. Les rendez-vous chez les médecins, les nouvelles rencontres…etc sont des événements incontournables où il est difficile, voire impossible d’éviter la réalité de son sexe. Chez le médecin et avec ses nouvelles compagnes elle redevient une femme.

Malheureusement Lyo va plus loin et choisit de subir une ovariectomie et une hystérectomie. La phalloplastie lui fait peur car l’opération est lourde mais elle en a envie pendant un certain temps, toujours dans le but de calmer cette dysphorie qui revient sans arrêts.

Sur le plan social Lyo explique qu’il est nécessaire de s’isoler socialement de beaucoup de gens pour ne pas subir la dysphorie augmentée par le « mégenrage ». Ce que les transactivistes et médecins transaffirmatifs appellent le stress minoritaire est ici désigné. La société ne peut entièrement se soumettre à nier la réalité biologique d’une personne. Les actes d’agressivité et de violence contre les personnes trans sont à dénoncer au même titre que contre toute autre personne. Mais forcer les gens à « genrer » une personne au féminin alors que cette personne est un homme est tout autant un acte autoritaire et agressif.

Lyo explique qu’elle a milité dans les associations LGBT pour que d’autres personnes fassent leur transition et elle avoue ce que peu de personnes osent dire : « c’est rassurant pour nous (personnes trans) de voir les autres exister comme trans, ça justifie notre transition et le fait qu’on ne se trompe pas ».

Pour Lyo le retour à la réalité se fait 9 années plus tard, à force de constater les nombreuses incohérences vis-à-vis de la définition du sexe et du genre chez les militants LGBT : « j’entendais le discours des militants qui explique qu’une femme ce n’est pas forcément quelqu’un qui a des ovaires ou un utérus, qu’une femme ce n’est pas forcément quelqu’un qui a ses règles ou de la poitrine ». Donc très logiquement Lyo s’est dit que si tous ces attributs qu’elle cherche à faire disparaitre, car elle refuse d’être une femme, en fin de compte, ne définissent pas la femme : « Il n’y a donc plus de définition de la femme. Ça ne veut plus rien dire…donc je suis une femme. » Lyo conclue de manière intéressante : « je n’étais pas trans, mais en transe. »

 

2.2 Comment expliquer ce phénomène par le biais des Thérapies Cognitives et Comportementales (TCC) ?

 

Lyo ne parvient pas à accepter son corps parce qu’elle ne correspond pas aux stéréotypes de genre majoritaires chez les femmes. Le genre est une construction sociale qui correspond aux attentes sociales et à la vision majoritaire que la société se fait d’une femme ou d’un homme. Elle n’aime pas les jupes, les barbies, elle aime ensuite les femmes…etc. L’aide qu’elle est allée chercher auprès des psychologues ne l’amène pas à accepter qu’elle est une femme malgré le fait qu’elle n’adopte pas les attitudes majoritaires chez les femmes. Ainsi le sentiment de ne pas être une femme émerge et lui fait ressentir un mal être grandissant vis-à-vis de son corps : la dysphorie de genre apparaît, selon les personnes transaffirmatives, l’ASP selon nous. Ses angoisses et le rejet de son corps, à commencer par la poitrine, produit chez elle une telle détresse que lorsqu’elle rencontre les associations LGBT elle adhère à la croyance qu’elle est née dans le mauvais corps et décide de se faire opérer de la poitrine. La gestion de ses émotions passe donc par un comportement de contrôle de manière à éviter la réalité qui est qu’elle est une femme.

Elle fait donc de l’évitement émotionnel (évitement de la détresse par le choix de la mastectomie) et de l’évitement cognitif de la pensée « je suis une femme ». Mais les comportements inadaptés en réponses à des sentiments et des croyances inadaptées augmentent le mal être avec le temps : plus elle utilise des comportements de contrôle pour nier sa réalité biologique plus elle maintient la pensée qu’il est dramatique et intolérable pour elle d’être une femme. Plus elle évite la pensée « je suis une femme » plus son cerveau associe cette pensée à quelque chose de dangereux pour elle. Mais comme la réalité de son sexe est immuable, la dysphorie reprend toujours.

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Avec le temps la détresse qu’elle ressent vis-à-vis de son corps s’atténue ponctuellement suite à ses stratégies comportementales : la mastectomie, la prise de testostérone, isolement social des personnes non transaffirmatives…etc. Mais elle revient toujours, le changement réel de sexe étant impossible ce sentiment de mal être revient inlassablement. Malgré l’isolement social des personnes susceptibles de la « mégenrer » Lyo se heurte à nouveau à l’incohérence de ses comportements mais aussi à la réalité de son corps de femme, notamment quand elle va chez le médecin. Non pas parce que son médecin la mégenre mais parce que le médecin traite un corps de femme…

Donc sur le long terme, ces tentatives de suppression des émotions désagréables et des pensées évitées ne fonctionnent plus mais au contraire augmentent le mal être car de manière logique le cerveau associe le danger (et donc les émotions négatives) au fait d’être une femme.  Mais Lyo est une femme, cela ne changera pas et hormis le fait de tomber complètement dans un état délirant, les angoisses ne font qu’augmenter :

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Le fait de se sentir en décalage vis-à-vis des autres filles/femmes a perturbé Lyo. Les changements corporels et la sexualisation de son corps par les garçons lui sont difficilement supportables, d’autant plus en étant lesbienne et de fait, n’ayant aucun rapport de séduction avec les hommes. Cependant, une femme peut préférer jouer au foot, ne pas aimer les jupes, aimer les femmes et avoir les cheveux courts et pour autant être une femme. Ce fameux sentiment d’être un homme émerge à cause de ces conflits internes que lyo ne parvient pas à résoudre.

Finalement elle réussit à régler sa problématique émotionnelle et cognitive en tolérant ses émotions et en critiquant ses croyances de transidentité. De cette manière la dysphorie s’apaise et son rejet du corps n’est plus un besoin urgent. Son sentiment de ne pas être une femme ou d’être un homme disparait. Développer sa tolérance aux émotions, aux changements corporels et travailler ses cognitions font partie du travail psychothérapeutique.

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3. Conclusion :

Les questionnements identitaires de ces deux femmes, normaux à l’adolescence, ajoutés à leurs particularités de fonctionnements sociaux les ont amenées à croire que leurs sentiments de mal être vis-à-vis de leurs décalages sociaux et de leur corps, était dû au fait qu’elles étaient nées dans le mauvais corps. Ces émotions ont provoqué chez elle le sentiment (un sentiment est un mélange d’émotions et de pensées) d’être un homme.   

Nous, psychologues, sommes censés aider nos patients à prendre conscience de leurs schémas de pensées, de leurs croyances et leurs sentiments, de leurs conditionnements émotionnels pour dénouer les causes de leur souffrance afin de les aider à faire des choix éclairés. Accueillir d’emblée, une affirmation basée sur des sentiments et des émotions, sans les discuter, sans les explorer alors que ces croyances provoquent potentiellement des dommages corporels à vie, n’est ni déontologique, ni éthique. Les spécialistes n’ont pas aidé Lyo à comprendre son mal être et aujourd’hui il est fort probable qu’elle lutte contre un stress-post-traumatique dû à ses opérations et à ses expériences liées à sa transidentité.

L’adolescence est une période complexe, confuse, les jeunes font au mieux pour s’adapter mais beaucoup de changements s’opèrent et souvent tellement rapidement qu’il est difficile de prendre du recul et d’avoir le temps de conscientiser ses problèmes. De ce fait, beaucoup de pensées, sentiments et émotions émergent de manière automatiques, inconsciemment, sans que les jeunes comprennent pourquoi. Lorsque le mal être est important et peut engager l’intégrité de la personne nous ne pouvons passer à côté de la psychothérapie en sautant directement à la case bloqueurs de puberté, hormones et chirurgies.

Nous faisons l’hypothèse que Danielle et Lyo n’avaient pas de dysphorie de genre mais une Angoisse de Sexuation Pubertaire dont les symptômes sont les suivants :

 

1. Détresse marquée et persistante pouvant aller de l’anxiété aux attaques de panique en lien avec l’apparition des caractères sexuels secondaires.

2. Préoccupations excessives et persistantes (ruminations, anxiété d’anticipation) liées à la perception, aux sensations ou à l’acceptation des changements corporels.

3. Honte de son physique en lien avec les caractères sexués du corps, notamment les seins pour les filles ainsi que le rejet des menstruations

4. Mise en place de stratégie d’évitement, d’hypercontrôle, de camouflage des caractères sexués.

5. Peur, anxiété, angoisses ou attaques de panique dans une ou plusieurs situations sociales avec comme cause alléguée la peur du jugement ou celle de la perception par autrui des caractères sexués du corps.

6. Tristesse de l’humeur avec une culpabilité excessive et une possible dévalorisation en lien avec les changement et caractères sexués du corps.

7. Sentiment d’insécurité comme la peur d’une agression liée à la perception par autrui des caractères sexués du corps.

8. Peur intense du passage à l’âge adulte en relation notamment avec la découverte de l’orientation sexuelle gay ou lesbienne

9. Changement d’humeur, intolérance, colère à la moindre frustration interprétée de façon rigide comme le sentiment d’être incompris.

Ces troubles se verront aggravés s’ils sont précédés et accompagnés de comorbidités comme :

- un trouble du comportement alimentaire

- une anxiété sociale

- un état dépressif

- des antécédents d’agression sexuelle et/ ou un état de stress post traumatique

- les troubles neurodéveloppementaux comme le trouble de l’attention avec ou sans Hyperactivité (TDA/H) et les troubles du spectre autistique (TSA)

[1] Antonio R. Damasio, Le sentiment même de soi. Corps, émotions, conscience. Odile Jacob, 1999.

[2] https://www.revue-psy.fr/2024/05/06/langoisse-de-sexuation-pubertaire-asp-4006/#:~:text=Il%20s'agit%20d'un,changements%20du%20corps%20particuli%C3%A8rement%20probl%C3%A9matique.

[3] https://www.observatoirepetitesirene.org/_files/ugd/49b30a_a2437a873a0444b1af3b1a98f127940d.pdf

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