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Changer de sexe ? Comment opère le malentendu chez les jeunes… et les moins jeunes
(Éditions Campagne Première, Paru le 19/06/24)
Cet ouvrage apporte un regard original sur les désirs de transition de genre des adolescents et jeunes adultes : le regard que peuvent porter les approches psychanalytiques et, plus généralement, les approches psychologiques et psychiatriques. Les auteurs sont des praticiens reconnus de la psychiatrie de l'enfance ; le regard qu’ils portent sur la transition de genre est serein et objectif, bien qu’associé à une forte dose d’empathie envers leurs jeunes patients. Les adolescents méritent certainement d’être accompagnés avec compréhension et empathie dans la seule véritable transition que tout être humain doit traverser, celle qui conduit de l’enfance à l’âge adulte. Mais la question doit être abordée en utilisant des méthodes scientifiques et non pas en se basant sur les émotions et les sentiments, comme c’est trop souvent le cas. Le livre de Beryl Koener et Jean-Pierre Lebrun vise à comprendre comment la science peut proposer une approche respectueuse et empathique des désirs de transition de genre des adolescents. Mais il ne s’agit pas d’une simple description de la vague transgenre, comme l’ont déjà fait plusieurs ouvrages : il analyse les racines profondes du phénomène à la lumière de concepts philosophiques et psychologiques, ce qui est à mes yeux assez nouveau.
L’introduction replace la problématique des désirs de transition de genre dans le contexte général de nouvelles théories et pratiques connues sous le nom de wokisme ou de wokeness : parti de luttes louables et généreuses contre toutes sortes de discriminations, le concept a été déformé par divers types d’activistes qui appliquent un cadre de référence éloigné des luttes originelles louables contre les discriminations. De nouvelles conceptions de l’antiracisme, du féminisme, du décolonialisme et d’autres sentiments a priori nobles ont été appliquées sans pensée critique, conduisant à diverses absurdités. À partir de définitions correctes de ces notions qui entourent les désirs de transition de genre, les auteurs nous embarquent dans un voyage à travers leur expérience sur les difficultés de leur pratique qui vise à réconcilier les jeunes – et les plus âgés – avec leur moi intérieur.
Dans des chapitres courts et incisifs, les auteurs décrivent les mutations sociétales en cours depuis une cinquantaine d’années, notamment la forte accélération du passage de l’hétéronomie à l’autonomie qui n’avait progressé que lentement au cours des siècles passés, et qui culmine désormais avec l’autodétermination des enfants. Cela est associé au désir de renverser l’ordre établi en tant que modèle de fonctionnement social, impliquant la légitimité de la protestation. L’individu développe la prétention de ne plus avoir à se confronter à aucune objectivité, pas même à celle de la science. L’émotion et les sentiments remplacent l’analyse objective de faits élémentaires, comme le sexe – transformé en genre.
Ensuite, les auteurs décortiquent les fondements des changements sociétaux qui ont conduit aux malentendus rapportés ci-dessous : l’évolution du statut de la femme, les nouvelles possibilités offertes par la biologie de la reproduction, l’évolution du libéralisme vers le néolibéralisme avec le règne du marché, l’avènement de la communication numérique et des réseaux sociaux. Conclusion majeure, la suprématie de l’individuel sur le collectif se traduit par le fait que « personne n’est plus le voisin de l’autre » (Charles Melman). Les auteurs analysent comment les trois lois non écrites qui régissent le développement des enfants, l’autorité, l’altérité et l’antériorité, ont été progressivement abandonnées dans l’éducation des enfants au cours de deux générations successives qui ont failli, pour diverses raisons sociétales, à la transmission de ces lois.
Ces bases étant posées, les auteurs abordent le sujet du transsexualisme et du « transgenrisme », en commençant par une brève description de la présence des personnes transsexuelles dans l’histoire et de la manière dont elles sont devenues transgenres au tournant du siècle. La représentation psychanalytique d’un cas précis et bien documenté de transsexualisme éclaire la description ultérieure du problème actuel des adolescents transgenres. Dans cette partie du livre, l’attitude des militants est abordée et l’absence de fondement à l’appui de leurs affirmations est remise en question : elle est compréhensible grâce à l’analyse approfondie développée dans les chapitres précédents. Ce chapitre conduit à une description du développement psychologique des enfants et de son intelligibilité actuelle à la lumière de la vaste expérience des auteurs dans la pratique de la pédopsychiatrie. Avant d’être un livre sur le délire transgenre, c’est un manuel de psychologie de l’enfance, ce qui le rend si utile dans la compréhension des problèmes actuels, les auteurs démontrant que « l’entrée dans l’adolescence se fait sur un psychisme immature » (p. 104).
Ce qui ressort clairement de l’expérience des auteurs, c’est que la revendication d’appartenance à un autre genre n’est que le symptôme d’un phénomène sous-jacent beaucoup plus général. Cependant, l’approche thérapeutique de la dysphorie de genre et des autres troubles psychologiques chez les adolescents se heurte à l’activisme d’une partie de la population adulte d’hommes et de femmes transgenres et de leurs adeptes. « Dans le contexte de l’idéologie du genre, écrivent les auteurs, il n’y a pas de biologie (qui ne serait qu’une science viriliste, patriarcale, hétéronormative et blanche), et ceux qui réfutent cette affirmation sont immédiatement accusés d’être transphobes. Ainsi, toute forme d’exploration et d’évaluation du patient sera alors interprétée comme une thérapie de conversion » (p. 136).
Cela conduit les auteurs à une description de ce que sont les thérapies de conversion, chapitre utile pour comprendre les confrontations que doivent subir les pédopsychiatres pour expliquer que leur mission et leur pratique sont exactement à l’opposé des thérapies de conversion. L’action de soutien des universités américaines aux théories de la « justice sociale » contamine désormais les universités européennes, en particulier françaises, donnant un écho paradoxal en retour à ce qu’on appelle la French Theory en mélangeant des concepts qui n’ont en commun que des mots et une volonté de déconstruction. Les auteurs notent que « la domination […] n’est pas qu’une spécificité des mâles blancs. Elle appartient en propre aux humains qui parlent, de quelque origine ou sexe qu’ils soient » (p. 162).
Les derniers chapitres de l’ouvrage présentent des considérations désillusionnées sur l’évolution récente de nos sociétés, qui a engendré une série de malentendus sur la responsabilité de l’éducation des enfants depuis au moins deux générations – rendant impossible tout retour en arrière : « C’est comme si le discours politique avait désormais accepté de ne plus jouer son rôle de surplomb, de tiers, mais qu’il cédait aux pressions des lobbies, du marché et des idéologies en cours et, ce faisant, qu’il acceptait de se démarquer de la réalité, en l’occurrence celle de l’anatomie » (p. 177). La société ne fournit plus de repères stables permettant aux jeunes de s’orienter dans le chemin des possibles et augmente donc considérablement l’anxiété dans laquelle ils doivent trouver leur voie.
Malgré la profondeur des analyses développées dans le livre, le langage des auteurs est toujours clair et simple et évite les termes techniques et le jargon médical ; le livre est donc facilement accessible aux non-spécialistes de la philosophie, de la psychologie ou de la médecine, c’est-à-dire au grand public désireux de comprendre les racines de l’épidémie de dysphorie de genre actuellement en cours, qui a récemment été popularisée par la Cass Review, d’un grand intérêt mais non dénué de la complexité du langage scientifique. Ce livre est certainement la meilleure introduction pour comprendre la situation actuelle et il devrait être lu avant d’autres livres ou documents précieux mais plus complexes comme la Cass Review.
Jacques Robert est professeur émérite de cancérologie à l'université de Bordeaux et praticien hospitalier honoraire à l'Institut Bergonié, le Centre de lutte contre le cancer de Bordeaux, dont il a dirigé le laboratoire de biochimie pendant plus de 35 ans.
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