L'analyse de l'OPS par Claudio RUBILIANI
CLAUDIO RUBILIANI
Maître de conférences honoraire en Biologie des Organismes. Docteur d'Etat. Visiting Professor à la Duke University Marine Lab (Caroline du Nord, USA). Ancien Inspecteur de l'Enseignement français en Allemagne.
Quelques titres : L'adaptation (co-auteur) (Ed. Belin-Pour la Science, 1988) ; Sous les Cahiers, la Plage (CNDP, 1994), Education à la citoyenneté (co-auteur) (Ed. Magnard, 1996) ; Un autre regard sur la culture scientifique (Scéren, 2003) ; Sciences, Arts et Français : se construire par les albums (Scéren, 2006).
Marianne van der Loos (1988) est née à Rotterdam, aux Pays-Bas. En 2017, elle a commencé à travailler comme médecin en médecine interne au Zaans Medical Center à Zaandam. En 2019, elle entame un doctorat de quatre ans au Centre d'expertise sur la dysphorie de genre du Centre médical universitaire d'Amsterdam (VUmc). Elle a été supervisée par les docteurs den Heijer, Wiepjes, Hannema et Klink. Elle est actuellement résidente en médecine interne à l'hôpital Dijklander de Hoorn.
Analyse globale
Cette thèse ne vise aucunement à questionner le Dutch Protocol (dont la Vrije Universiteit est le berceau), jugé incontestable, adapté et nécessaire (Chapitre 3 et p.159), ni à s’interroger sur les effets primaires et secondaires des bloqueurs de puberté et de l’hormonothérapie substitutive (mentionnée sous le doux euphémisme de GAH : traitement hormonal d’affirmation du genre). Il s’agit simplement d’ajuster le tir, en « améliorant » le protocole. Il n’y a d’ailleurs aucun véritable questionnement ni d’hypothèses testées mais une analyse de données quantitatives et « qualitatives orientées ». L’auteur conclut ainsi (p.71) qu’une dose élevée d’œstradiol (6mg) pour féminiser assure une meilleurs croissance osseuse et que si les garçons traités pour transitionner montrent une perte de densité osseuse c’est parce qu’ils manquent d’activité physique et de soleil (fournisseur de vitamine D) ; l’activité physique avant et pendant les « traitements » et une meilleure hygiène alimentaire permettraient donc de pallier ce désagrément.
Je la cite « Lifestyle factors and estradiol treatment should be optimized, stimulating maximum BMD accrual to mitigate the risk of osteoporosis later in life. It is remarkable that an ever-growing group of healthy children and adolescents have reduced bone mass accrual during puberty, possibly due to altered lifestyle, but claiming the treatment with puberty suppression in itself alone results in poor bone health would be erroneous. ».
Le lexique est ouvertement transaffirmatif : les termes « garçon » et « fille » sont proscrits et « mâle » et « femelle » ne figurent que précédés de cis ou dans les dénominations AMAB et AFAB (assignés mâles ou femelles à la naissance) ; un transmale étant dans ce cas une AFAB avec une identité de genre mâle et inversement pour transwoman.
Par ailleurs, dès l’introduction, une confusion –classique des militants transaffirmatifs- est entretenue entre intersexualité (d’origine biologique) et transidentité (qui n’a pas d’origine biologique) : l’auteur nous parle (p.12) de l’Hermaphrodite, déifié chez les Grecs et premier exemple troublant les frontières entre masculin et féminin, puis enchaine dans la même phrase sur les expériences pilotes de transition de Harry Benjamin. Ignore-t-elle vraiment la différence entre intersexualité et transidentité ? L’auteur semble par ailleurs ignorer également les travaux historiques de Georges Androutsos (L’hermaphrodisme dans l’antiquité gréco-romaine : de la légende à la réalité. 2002) ainsi que les calamiteuses expériences de John Money !
Il y a également une pathologisation du vocabulaire. La dysphorie de genre (GD) est ici considérée comme une pathologie telle que définie par le DSMMD 5ème édition de 2013 (p.11), le WPATH et le DSM-5 (p.13). « Cette pathologie peut être aggravée à la puberté par le développement des caractères sexuels secondaires « discordants », entrainant, chez beaucoup, le désir de transitionner (p.11) ». On notera aussi (p. 26, 44 et 155) que « dans des cas sporadiques, le traitement par GnRHa (bloqueur de puberté) a pu être discontinu, la raison principale en étant une rémission dans la dysphorie de genre ». La GD est donc pour l’auteur une maladie (chronique) se manifestant dès l’enfance et pouvant connaître des phases de rémission !!! Notons qu’elle constate que 93% des adolescents ayant été traités par GnRHA enchainent par l’hormonothérapie GAH ; et « s’il y a des renoncements et de très rares détransitions –estimées à 1,6% de la population traitée- c’est parce que les listes d’attente sont trop longues (chapitre 2 et p.159 ») !!!
Analyse plus précise des divers chapitres
L’auteur recommande par ailleurs de commencer les traitements Bloqueurs (GnRHa) le plus tôt possible, puis d’enchainer à partir de 15 ans avec l’hormonothérapie substitutive « qui va induire la puberté » afin « d’avoir le squelette du genre désiré et non celui du sexe assigné à la naissance ». Le Dutch Protocol préconise les âges de 12 ans pour les bloqueurs et de 16 ans pour l’hormonothérapie, mais elle reconnait une limite. Je la cite « Chapter 7 showed that sex-specific development of hip bone geometry during GAH treatment followed the course of the gender identity only when puberty suppression was started in early puberty. When puberty suppression was started longer after onset of puberty bone geometry followed the trajectory of the sex assigned at birth. This study deepens our understanding of bone strength in transgender individuals as well as sex-specific bone development during puberty in the general population. Bone geometry is an important part of bone strength, so this could hold implications for fracture risk in transgender individuals. As trans women starting puberty suppression in early puberty obtain bone geometry similar to cis women, fracture risk might be higher compared to trans women starting in late puberty. In a broader perspective, the results suggest there is a particular critical window in early puberty during which the main effects of sex hormones on bone geometry are exerted ».
Il y a en effet une « fenêtre de tir » spécifique concernant les interactions hormonales au cours du développement. C’est justement lorsqu’il y a un désynchronisme entre déclenchement de la puberté (axe hormonal hypothalamo-hypophysaire GnRH-LH-FSH- Hormones sexuelles gonadiques stéroïdiennes) et croissance osseuse sous contrôle de la GH (Hormone de Croissance, hypophysaire) qu’une action thérapeutique avec des bloqueurs de puberté type GnRHa est indispensable –ici utilisés comme retardateurs de puberté pour une pathologie avérée et pour une période limitée à 2 ans maximum- afin d’éviter une forme de nanisme.
Dans cette thèse, cette notion de « fenêtre de tir » et de chronologie du développement n’est pas abordée au-delà de cette phrase et il n’est jamais fait mention des interactions hormonales (avec la GH en particulier, compte tenu du sujet : le squelette). Or, lorsque l’on prend en compte la globalité d’un organisme en développement et même si l’on ne se focalise que sur un paramètre (ici le développement du squelette) toute étude physiologique sérieuse doit faire l’inventaire des interactions possibles et de la notion primordiale de synergie des actions. Ces interactions sont fondamentales pour la construction du squelette, l’élaboration de la morphologie adulte et l’équilibre physiologique en général.
C’est cette prise en compte des multiples interactions et des effets secondaires connus des diverses hormonothérapies qui, entre autre, a conduit des pays comme la Suède ou la Finlande, à faire marche arrière sur l’utilisation des bloqueurs. L’auteur le signale page 15 dans un bref paragraphe (24 lignes) Controversy surrounding the Dutch Protocol mais en parle comme « un débat cherchant à donner des limites légales, voire criminaliser, la fourniture de soins de santé affirmant le genre ».
Par ailleurs, page 16, l’auteur indique en 2 lignes que les bloqueurs de puberté (GNRHa) « sont utilisés pour une variété de problèmes de santé, tels que la puberté précoce, l’endométriose, les cancers de la prostate et du sein et, plus récemment, pour les soins de santé transgenre ».
Il ne sera jamais fait mention tout au long des près de 200 pages de cette thèse des précautions d’emploi et des effets secondaires de ces bloqueurs de puberté, - ni de l’hormonothérapie- pourtant largement documentés et bien connus des cancérologues, notamment !
C’est comme si le rapport Cass n’avait jamais existé.
En ce qui concerne le « matériel et les méthodes », nous ne contesterons pas les chapitres concernant les croissances osseuses masculine et féminine et leur mesure ni le détail des cohortes des enfants et adolescents traités (chapitres 1,2 et 3).
En revanche, s’il est vrai que les dosages hormonaux sont très délicats, du fait d’une part de la variation circadienne des taux, variation augmentée par la diversité des activités, pour la testostérone en particulier, et bien sûr, en plus, par la mise en place du cycle menstruel chez les jeunes filles pour l’oestradiol et la LH, les modalités d’analyses sanguines (Chapitre 4) nous semblent peu précises (voir l’excellent inventaire des difficultés et variations de dosages dans Physiologie des androgènes chez l’homme adulte de J.Tostain, D.Rossi et P.M.Martin, 2004). 3 techniques différentes se sont succédé au cours de cette étude. Surtout, les résultats indiqués pages 76 à 78 nous laissent perplexes : les garçons et les filles auraient le même taux de testostérone au dixième de nanogramme près ? (tableau 1). Et comment interpréter les résultats du tableau 2 où les filles « traitées » présentent un taux de testostérone 20 fois supérieur à celui des garçons et un taux d’œstradiol de moitié ? Quelles parts d’hormones actives ? Ces points ne sont pas discutés.
Par ailleurs, il n’y a pas eu de dosage de GH (hormone de croissance), ni de bilans minéralogiques. Nous n’avons pas non plus de comparaisons avec une population-témoin.
Quant aux références, elles sont quasi-exclusivement constituées de publications « maison VUA », (22 sur 30 références pour le chapitre 5, par exemple, celui qui invitait le plus à discussion), à l’exclusion de toutes références de physiologie générale et d’endocrinologie « interrogatives » sur les traitements hormonaux.
Conclusion-Bilan
En ce qui concerne les résultats des traitements par le Dutch Protocol sur le squelette des adolescents, nous savons depuis des siècles que les eunuques castrés dans leur enfance ont une ossature frêle et longiforme, une musculature peu dense et un métabolisme des graisses modifié. Les bloqueurs de puberté représentant une castration chimique (certaines législations les utilisent d’ailleurs à cet effet pour les délinquants sexuels), il est évident que le Dutch Protocol appliqué à des garçons avec une supplémentation en oestrogènes va se traduire, par le jeu des interactions hormonales, par des perturbations métaboliques allant bien au-delà d’un simple impact sur la croissance osseuse.
Chez l’adolescent, la testostérone agit selon 3 modalités : la testostérone elle-même va agir sur certains tissus cibles et ainsi augmenter la masse osseuse, la masse musculaire, la croissance squelettique, réguler la distribution des graisses et agir aussi sur la moelle osseuse et la production d’EPO et par là la production d’hémoglobine (dont le taux est en moyenne de 12% plus élevé chez l’homme que chez la femme). Par l’intermédiaire d’une enzyme (5alpha-réductase), la testostérone transformée en DHT (Dihydrotestostérone), va agir sur d’autres tissus cibles et permettre en particulier le développement des caractères sexuels secondaires. Par une autre enzyme (aromatase), la testostérone va aussi, en quantité modeste, être transformée chez l’homme en 17ß-œstradiol, hormone importante, qui va agir sur la soudure des cartilages de croissance épiphysaire des os longs ainsi que sur la régulation de la sécrétion d’insuline et sur le système cardio-vasculaire. Ces trois hormones, par ailleurs, vont aussi agir sur la régulation et la maturation cérébrale (qui ne s’achève que vers l’âge de 25 ans).
La castration chimique induite par la GnRH va donc inhiber les deux premières modalités d’action de la testostérone, ce qui explique largement les « légères » carences osseuses observées chez les garçons traités. Un dosage élevé en oestrogènes et une activité physique régulière nous semblent un palliatif peu convaincant.
De même, la castration chimique induite chez les préadolescentes et adolescentes va réduire drastiquement la production des oestrogènes, dont les tissus cibles spécifiques sont non seulement les organes génitaux et les seins mais également des organes impliqués dans d’autres systèmes régulateurs. Or l’auteur conclut qu’en ce qui concerne les jeunes et très jeunes filles ayant entamé un processus de transition « il semble que les traitements hormonaux ne posent aucun problème sur le plan squelettique ( p.85 et p.158). D’ailleurs elle préconise « de ne plus faire d’analyse densitométrique pour cette population quand le traitement a été entamé dans la puberté tardive ». Il nous paraît évident pourtant que l’apport exogène de testostérone (même s’il y a aussi « compensation » par de la progestérone, ce qui n’est pas mentionné dans les protocoles étudiés ici), ne va pas qu’impacter le squelette –en favorisant un épaississement au détriment d’un allongement- et la musculature attenante mais va obérer d’autres fonctions dont la fonction hépatique et le métabolisme du cholestérol (matière première des hormones stéroïdes) et ne va pas se substituer véritablement aux oestrogènes dans la régulation du métabolisme lipidique.
Aucun de ces aspects n’est évoqué dans cette thèse.
L’objectif final de ce travail semble être de déterminer l’âge, la durée et les doses hormonales permettant aux enfants et adolescents suivant le Dutch Protocol d’obtenir l’apparence morphologique du genre « désiré », avec des conséquences sur la croissance et le squelette jugées acceptables, voire déclarées réversibles, sans autres considérations anatomiques ou physiologiques.
Il est toutefois permis de s’interroger sur les nombreuse lacunes et imprécisions relatives aux données et surtout à leur analyse. Relèvent-elles d’une ignorance de certaines connaissances physiologiques de base ou plutôt d’une volonté d’ignorer les éléments et raisonnements qui remettraient en cause le dogme de l’innocuité du Dutch Protocol ? (on pense ici à l’autocensure de ses travaux par Johanna Olson-Kennedy dont les résultats contredisaient ses présupposés idéologiques). Une vision lyssenkiste de la science ?
En conclusion, ce travail est sur le plan scientifique en général, et biologique en particulier, ce que le Canada Dry est au whisky. L’analogie ayant toutefois ses limites, puisque le Canada Dry a bon goût.
Claudio Rubiliani
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