Article de Magali Pignard publié sur son site https://www.transition-mineurs.com/
Le 24 janvier 2025
Alors que gouvernement britannique travailliste interdit la vente de bloqueurs de puberté en raison de leur « risque inacceptable pour la sécurité », un « consensus d’experts » parmi les endocrinologues français les recommande en traitement de 1re intention, tout comme les hormones sexuelles croisées : ignorant les revues systématiques des preuves et le Cass Review, ils affirment que des enfants avec très peu d’expérience sexuelle/de vie peuvent « comprendre les implications » d’un traitement aux effets à long terme inconnus, qui impactera leur vie entière avec un risque de infertilité/stérilité/dysfonction sexuelle, à un moment où leur identité est en pleine construction et où leurs priorités sont largement susceptibles d’évoluer. |
Dans un article récent (Brezin et al., nov. 2024), un « groupe de travail » de la SFEDP (Société Française d'Endocrinologie et de Diabétologie Pédiatrique) décrit ses préconisations concernant la prise en charge endocrinienne d’adolescents s’identifiant transgenres. Celles-ci sont à l’opposé du Cass Review (évaluation la plus complète de la pratique de la médecine du genre chez les jeunes), qui n’est pas cité. En se basant sur la croyance selon laquelle la dysphorie de genre ne peut se résoudre naturellement, les auteurs recommandent, sans attendre, des bloqueurs de puberté et hormones sexuelles croisées comme traitement de 1re intention : des interventions invasives et souvent irréversibles, non soutenues par les revues systématiques des preuves (regroupées dans ce post) : il semble par ailleurs que les auteurs ne soient pas au courant de ces études (qui représentent le plus haut niveau de qualité des études), malgré leur appel à ce que les jeunes aient accès à des informations « aussi éclairées que possible ».
Ce « Consensus d'experts » français tranche avec l’avis officiel d’experts médicaux britanniques de la Commission des médicaments à usage humain, qui considèrent que « la prescription continue de bloqueurs de puberté aux enfants présente actuellement un risque inacceptable pour la sécurité ». Suivant cet avis, le gouvernement travailliste a poursuivi l’interdiction de la vente et fournitures de bloqueurs de puberté, pour une durée indéterminée.
Plutôt que de s'appuyer sur des preuves solides, les auteurs se calquent sur les dernières lignes directrices de l’Endocrine Society (2017) et de la WPATH (Standards Of Care 8 2022) : ces lignes sont liées par un coparrainage et ont influencé presque toutes les lignes directrices existantes, créant, malgré la faiblesse des preuves, un consensus trompeur en se rapportant à leurs propres directives par le biais un référencement circulaire (Taylor et al. 2024).
Par ailleurs, des documents judiciaires descellés en juin 2024 ont révélé que lors de l’élaboration de leur directive, la WPATH a omis de suivre les principes de la médecine fondée sur les preuves, en supprimant les preuves qui pourraient avoir un impact négatif sur l'accès aux traitements de réassignation sexuelle, notamment chez les mineurs.
Selon ce groupe :
la dysphorie de genre chez les adolescents ne peut pas se résoudre d’elle-même, alors que des études récentes montrent le contraire,
le traitement endocrinien est la seule option pour réduire la détresse psychologique, quelle que soit sa cause, favoriser le développement psychoaffectif et cognitif affecté par un état dépressif, alors même que les effets des bloqueurs sur le développement cognitif sont inconnus, que l’impact positif de ce traitement sur la santé mentale n’est pas soutenu par les preuves existantes.
ne pas donner ces traitements augmente le risque de suicide, ce qui n’est pas non plus soutenu par les preuves existantes.
les enfants avec peu, voir pas, d’expérience sexuelle, peuvent consentir aux bloqueurs de puberté notamment : ceux-ci supprimeront notamment tout désir sexuel (castration chimique), au moment des 1res relations amoureuses, avec un risque de les rendre fertiles/stériles à l’âge adulte s’ils poursuivent par les hormones sexuelles croisées, ce qui est très souvent le cas, comme les auteurs le reconnaissent.
Les auteurs mentionnent à plusieurs reprises l’importance d’obtenir un consentement éclairé, alors que :
les conditions nécessaires au recueil d’un tel consentement devraient inclure l'exploration de toutes les alternatives (ce que ne s’embarrassent pas de faire les auteurs) ;
la prise de décision clinique est un défi : le Cass Review, qui y a consacré tout un chapitre, mentionne dans son rapport final que « le devoir de communication d'informations est compliqué par de nombreux éléments inconnus concernant les impacts à long terme des bloqueurs de puberté et/ou des hormones masculinisantes/féminisantes pendant une période de développement dynamique où l'identité de genre peut ne pas être fixée » (16.18).
Ligne de conduite de ce groupe de travail
Se référer à l’OMS, qui n’a pourtant pas pris de décision concernant les mineurs
La SFEDP se réfère à l'OMS alors que l’OMS n'a pas pris de décision concernant les enfants et les adolescents car « la base de données probantes sur les enfants et les adolescents est limitée et variable en ce qui concerne les résultats à long terme des soins d'affirmation de genre pour les enfants et les adolescents ». 15 janvier 2024
Ignorer les directives n’allant pas dans le sens souhaité
Pour élaborer ses préconisations, le groupe de travail
ignore les directives axées sur la sécurité de l’individu comme les directives finlandaise et suédoise, qui sont pourtant les seules à avoir obtenu un score > 50 % pour la rigueur et le développement dans la revue systématique des lignes directrices internationales (Taylor 2024).
ignore le Cass Review, dont les recommandations se basent entre autres sur les revues systématiques les plus vastes à ce jour, absentes de tout l’article. A noter que le Cass Review a été pleinement accepté par le NHS , soutenu par les deux principaux partis politiques britanniques et largement adopté par la communauté médicale britannique.
Adapter les recommandations de la WPATH (2022) et de l’Endocrine Society (2017)
Le groupe de travail de la SFEDP procède comme les organisations médicales aux US, à qui il se réfère succinctement : il calque ses préconisations sur les lignes directrices trans-affirmatives de la WPATH 2022 et de l’Endocrine Society (2017), dont les scores concernant la rigueur et le développement sont respectivement 35 % et 42 % (revue systématique Taylor 2024). Cette revue a démontré que ces organisations sont liées par un coparrainage : WPATH 2022 s’est largement appuyée sur l’ES 2017, qui a eu une implication directe dans l’élaboration de la WPATH 2012 (score 26 %), celle-ci s’étant largement appuyée sur l’ES 2009 (score 44 %). (voir figure ci-dessous)
Le Cass Review, ignoré par ce groupe de travail, a souligné le caractère problématique de ce référencement circulaire, déclarant que « La circularité de cette approche pourrait expliquer pourquoi il y a eu un consensus apparent sur les domaines clés de la pratique malgré la faiblesse des preuves ».
La façon de procéder de ce groupe de travail induit ainsi en erreur les professionnels de santé et le public, les amenant à croire en la validité et à la fiabilité de recommandations basées sur des preuves faibles.
La WPATH est par ailleurs au cœur d'un scandale scientifique
La WPATH a contrôlé le contenu des revues systématiques qu’elle avait commandé pour sa directive de 2022
Cette suppression des preuves a été révélée par des communications internes assignées à comparaitre dans le cadre d’un procès en Alabama aux US. Ces communications concernent le processus d’élaboration de leurs « standards de soins 8 » (2022), et une partie a été descellée pour le moment. Pour élaborer leur directive, la WPATH a commandé plusieurs revues systématiques des preuves à l’université Johns Hopkins, UJH (plus précisément, au « Evidence-based Practice Center », qui est la référence dans ce domaine).
Tout d’abord, ces échanges révèlent que les responsables d’au moins un chapitre de la directive ont choisi de ne pas faire procéder à une évaluation des preuves à l’UJH car « Nos préoccupations, partagées par les avocats en justice sociale avec qui nous avons parlé, sont que l'examen basé sur des preuves révèle peu ou pas de preuves et nous place dans une position intenable en ce qui concerne l'impact sur les politiques ou la victoire dans les procès ». (exhibit 174, p./131)
La WPATH a considéré que les revues systématiques étaient leur propriété et qu'elle pouvait donc interférer dans le contenu
Lorsque l’équipe de l’UJH a soumis à la WPATH les 3 premières revues systématiques pour publication, une des revues a bien été publiée (Wilson et al., 2020). Concernant les 2 autres, les dirigeants de la WPATH ont été « pris au dépourvu » (Exhibit 1, p. 14/15), sans doute car les conclusions de ces revues ne soutenaient pas leur objectif.
Dans une lettre adressée à l’UJH (26 août 2020), ils expliquent que ces revues sont soulevées « de nombreuses préoccupations », notamment car elles n’impliquent pas « un des dirigeants de la WPATH dans la conception, la rédaction de l'article et l'approbation finale de l'article ». (Exhibit 1, p. 2/15)
Ils ont alors « mis en attente » le processus de publication de ces revues systématiques (nous ne savons pas lesquelles).
Cinq jours plus tard, la responsable de l’équipe d’évaluation de l’UJH a expliqué, dans un mail adressé à une représentante d’une agence gouvernementale (AHRQ), avoir « des problèmes avec ce sponsor [WPATH] qui tente de restreindre notre capacité à publier ». Elle lui explique par ailleurs que leur équipe a trouvé « peu à pas de preuves concernant les enfants et adolescents ». (exhibit 173, p. 23/142)
Par la suite, la WPATH a exercé un contrôle éditorial en instaurant une « politique d’approbation » pour les prochaines revues systématiques (Exhibit 1, p. 6 à 11/15) : la WPATH devait approuver les conclusions de chaque projet de revue systématique (à l’état de brouillon) ; les auteurs devaient avoir l’intention utiliser les données « pour faire progresser la santé des personnes transgenres de manière positive » telle que définie par la WPATH ; un responsable de la WPATH devait être impliqué « dans la conception, le brouillon de l’article et son approbation finale ». (Exhibit 1, p. 6/15). Ce contrôle pour approbation par la WPATH se faisait à 2 niveaux : après la 1re soumission pour publication (à l’état de brouillon), et lorsque le manuscrit était prêt pour publication.
Le 20 octobre 2020, le président sortant de la WPATH a écrit aux auteurs des chapitres et à l’équipe de l’UJH, déclarant que la recherche doit être « scrutée et examinée en profondeur pour s'assurer que la publication n'affecte pas négativement la prestation de soins de santé pour les personnes transgenres dans le sens le plus large ». (Exhibit 1, p. 14/15). Le président affirme que « Ces revues systématiques sont la propriété de la WPATH ».
La responsable de l’équipe chargée d’évaluer les preuves s’est indignée de ce procédé
La responsable de l’équipe de l’UJH a répondu le jour-même, rétorquant que « L’approbation de la WPATH pour nos publications n’est pas requise en vertu des termes de l’accord, la politique de WPATH n’a pas été intégrée dans l’accord exécuté, donc elle ne nous lie pas, et les politiques de l’institution JHU sur la liberté académique et la propriété intellectuelle interdisent de telles restrictions ou approbations concernant la publication. (...) Conserver le droit n’est pas la même chose que la propriété, et cela ne préjuge pas que JHU n’ait pas également ces mêmes droits sur les données du projet. Nous avons le droit de publier et toute publication de JHU résultant du travail effectué dans le cadre de ce contrat n’est pas soumise à l’approbation de la WPATH ni à aucune politique de la WPATH. Nous continuerons à envoyer des manuscrits préliminaires à WPATH pour révision et tiendrons compte des commentaires reçus. (...) ». (Exhibit 1, p. 12-13/15)
Bilan
Au total, seules deux revues systématiques, ont été publiées : une a été publiée avant le changement de politique (Wilson et al., 2020). Après la mise en œuvre de la politique, une seule autre évaluation a été publiée, Baker et al., 2021. C'est la seule évaluation à avoir survécu au processus d'approbation de WPATH, malgré des « dizaines » d'évaluations réalisées par l'équipe de Johns Hopkins, comme le révèlent les documents judiciaires.
Aucune revue systématique ne concerne donc les adolescents.
Par la suite la WPATH a indiqué dans ses « normes de soins » SOC8 (2022) » (chapitre Adolescents) qu’une « revue systématique n’est pas possible » en raison du faible nombre d’études, et a recommandé sans réserve bloqueurs de puberté et hormones sexuelles croisées, en justifiant que les études existantes en montraient les bénéfices.
Dans le détail : arguments avancés par ce groupe de travail de la SFEDP
Les enfants sont aptes à consentir à ce traitement
Les auteurs argumentent par une étude qui a tenté d'évaluer la capacité décisionnelle des adolescents souhaitant une transition médicale, en administrant le questionnaire MacCAT-T à des adolescents de 14,7 ans en moyenne (Vrouenraets et al. 2021). Ils ont conclu que les adolescents étaient capables de consentir au début de la suppression pubertaire. Mais comme le soulignent Levine, Abbruzzese, Mason (2022), ce questionnaire n’a pas été conçu pour les enfants, mais pour évaluer les capacités de consentement d’adultes avec démence, schizophrénie et autres troubles psychiatriques. Les deux contextes ne peuvent pas être comparables : ces enfants n’ont pas les expériences de vie leur permettant de consentir à des interventions médicales qui impacteront leur vie entière, y compris leurs relations futures. Il est douteux que des enfants n’ayant pas eu d’expériences sexuelles puissent appréhender la perte possible de leurs fonctions sexuelles et de leurs capacités reproductives futures.
Rappelons que la Haute Cour en Angleterre (décembre 2020) a jugé que les moins de 16 ans étaient peu susceptibles de comprendre pleinement les effets à long terme du traitement et de donner un consentement éclairé : à partir du constat que l’immense majorité des jeunes sous bloqueurs de puberté poursuivent par les hormones sexuelles croisées (la revue systématique des parcours de soins de l’Université de York (Taylor 2024) a révélé que 0 à 8 % des jeunes ont interrompu la suppression de la puberté), la Haute Cour a suggéré que les enfants/jeunes devraient comprendre les conséquences d'un parcours de transition complet afin de consentir au traitement par des bloqueurs de puberté. Elle a estimé qu'il est « hautement improbable qu’un enfant de 13 ans ou moins puisse consentir au traitement », et il est « douteux qu’un enfant de 14 ou 15 ans puisse en comprendre les conséquences ».
Consentir à ne jamais connaître le plaisir sexuel ?
Les auteurs soulignent l’importance d’informer les garçons de 11-12 ans candidats aux bloqueurs de puberté que leur utilisation « peut modifier les techniques chirurgicales possibles en cas de désir futur de vaginoplastie » : en effet, à l’âge de la vaginoplastie, leur pénis aura la taille et la maturité sexuelle d'un enfant de 11-12 ans : il n'y aura donc pas suffisamment de tissus provenant du pénis et des testicules pour former une cavité vaginale et un clitoris. Dans ce cas, des tissus intestinaux sont utilisés pour créer un vagin. La présidente de la WPATH Marci Bowers admet que les garçons sous bloqueurs en tout début de puberté seront des adultes anorgasmiques s’ils poursuivent par des œstrogènes à vie et une vaginoplastie, Symposium, université Duke 2022, The Free Press, avril 21.
Comment un enfant de 11 ans n’ayant aucune expérience sexuelle/amoureuse peut-il comprendre que les implications de ce choix, qui les privera probablement de connaître le plaisir sexuel, et affectera à vie ses futures relations amoureuses ?
Les professionnels admettent entre eux que ces enfants ne peuvent pas consentir
Des professionnels expérimentés dans le suivi d’enfants avec dysphorie de genre admettent entre eux que ces enfants ne peuvent pas consentir :
« C'est toujours bien en théorie de parler de préservation de la fertilité avec un adolescent de 14 ans, mais je sais que je parle à un mur. (...) je ne sais toujours pas quoi faire pour les adolescents de 14 ans. Les parents y pensent, mais les adolescents de 14 ans, vous savez... C'est comme parler de complications du diabète avec un adolescent de 14 ans. Ils s'en fichent. Ils ne vont pas mourir. » Dr Dan Metger Pédiatre endocrinologue à l'Hôpital pour enfants de la Colombie-Britannique à Vancouver, membre de la WPATH
« [concernant les enfants et adolescents] C'est un peu un aspect développemental, c'est en dehors de leur plage développementale parfois de comprendre dans quelle mesure certaines de ces interventions médicales les impactent. ». Dianne Berg, Psychologue pour enfants et co-auteure du chapitre sur les enfants des normes de soins 8 de la WPATH
Source : Workshop : évolution de l'identité, 6 mai 2022
Donner son consentement en étant privé de sa capacité à prendre des décisions complexes ?
Un autre problème concerne les enfants sous bloqueurs de puberté qui doivent donner leur consentement pour recevoir des hormones sexuelles croisées. En effet, ces bloqueurs non seulement inhibent le développement des caractères sexuels, mais perturbent également la maturation cérébrale qui se produit normalement durant la puberté. Or, cette maturation est essentielle pour le processus de prise de décision. Selon le Cass Review : « Il existe également des inquiétudes selon lesquelles les bloqueurs pourraient modifier la trajectoire du développement psychosexuel et de l'identité de genre (83). (...) La maturation cérébrale peut être temporairement ou définitivement perturbée par l'utilisation de bloqueurs de la puberté, ce qui pourrait avoir un impact significatif sur la capacité du jeune à prendre des décisions complexes comportant des risques, ainsi que des conséquences neuropsychologiques potentielles à plus long terme (14.38) ».
Sallie Baxendale, auteure d’une revue des impacts de la suppression de puberté sur la fonction neuropsychologique (fev. 2024, non mentionnée par les auteurs de cet article) mentionne que « La puberté est le processus neurodéveloppemental qui littéralement construit l'architecture neuronale qui permet aux personnes de réfléchir à des questions complexes et nuancées. Bloquer la puberté empêche le recâblage crucial du cerveau qui sous-tend la capacité à prendre des décisions complexes. Les bloqueurs de puberté peuvent donner aux enfants le temps de réfléchir, mais ils les privent simultanément de leur capacité à le faire ». (UnHerd, 20 mars 2024)
Deux autres aspects non pris en compte
Selon les auteurs, le consentement éclairé est obtenu lorsque le jeune est capable de consentir, mais ce n’est qu’un aspect : deux autres aspects doivent être pris en compte :
Décider quelles options de traitement sont appropriée
Cette étape est sautée par les auteurs. Pourtant, le Cass Review mentionne que « l'une des questions éthiques les plus difficiles est de savoir si et/ou quand l'intervention médicale est la réponse adaptée. (...) La maturation d'une personne se poursuit jusqu'à la mi-vingtaine et pendant cette période, l'identité de genre et sexuelle peut continuer à évoluer. Les priorités et les expériences au cours de cette période sont susceptibles de changer. (...) Pour ces raisons, de nombreux cliniciens consultés par la revue, tant au niveau national qu'international, ont déclaré qu'ils ne peuvent pas prédire de manière fiable quels enfants/jeunes réussiront leur transition et lesquels pourraient regretter ou faire marche arrière à une date ultérieure » (16.9 à 16.11).
Fournir les informations dont le patient a besoin pour prendre une décision éclairée sur les options proposées.
Les informations fournies à la personne proviennent d'études présentant divers problèmes méthodologiques, avec des inconnues à long terme, comme le reconnaissent les auteurs. Comme le mentionne le Cass Review : « En envisageant les interventions endocriniennes, le grand nombre d'inconnues concernant les risques/bénéfices pour chaque individu et le manque d'informations robustes pour les aider à prendre des décisions posent un problème majeur pour obtenir un consentement éclairé. (16.34) (...) Les informations [sur les avantages et risques à long terme des interventions hormonales provenant de résultats d'autres personnes] ne sont actuellement pas disponibles pour les interventions chez les enfants et les jeunes (...), de sorte que les jeunes et leur famille doivent prendre des décisions sans avoir une image adéquate des impacts potentiels et des résultats (...) (90) »
Les auteurs rappellent que « l’intérêt supérieur de l’enfant est une référence dans la prise de décision ». Mais comme le mentionne le Cass Review : « Les décisions dans l'intérêt supérieur sont particulièrement difficiles lorsque le traitement proposé a un impact important, est difficilement réversible et que le résultat du traitement est moins prévisible » (16.33).
La dysphorie de genre ne peut pas se résoudre d’elle-même et toute intervention non endocrinienne est une attitude attentiste
Cette croyance n’a jamais été correctement testée (Abbruzzese et al. 2023), et il existe des preuves croissantes pour la contredire (Bachmann et al. 2024, Sapir, 2024). Comme le souligne le Cass Review, « Un diagnostic formel de dysphorie de genre est souvent cité comme un préalable à l'accès au traitement hormonal. Cependant, il n'est pas fiable pour prédire si ce jeune aura une incongruence de genre durable à l'avenir, ou si l'intervention médicale sera la meilleure option pour lui » (16.8).
Les bloqueurs de puberté améliorent la santé mentale
Pour argumenter, les auteurs se gardent bien de citer les revues systématiques des preuves : celles-ci concluent que le niveau de certitude concernant l’impact favorable des traitements endocriniens chez les mineurs est faible, ce qui signifie que « L'effet réel pourrait être très différent de l'effet estimé ».
À la place, ce groupe cite des études dont la qualité a été évaluée de faible à très faible par les revues systématiques (RS) des preuves (voir tableau ci-dessous), les auteurs mentionnant néanmoins que « tous les changements ne sont pas significatifs et qu'il existe des limites méthodologiques dans les études ».
Les auteurs citent également Chen 2023, qui ne concerne pas les bloqueurs de puberté mais les hormones sexuelles croisées. Non évaluée par les RS, commentée en détail par Jesse Singal 2023 (voir article en français).
Il est important de mettre tout cela dans le contexte : bien que les bénéfices des bloqueurs de puberté et des hormones sexuelles croisées soient profondément incertains, les risques pour la santé peuvent être potentiellement graves. L’infertilité et la dysfonction sexuelle sont les risques les plus largement reconnus, surtout lorsque la suppression pubertaire est suivie par les hormones sexuelles croisées, les auteurs reconnaissant que c’est presque toujours le cas. Cependant, il existe beaucoup d’autres risques, y compris : l’altération cognitive (voir la revue de Sallie Baxendale, 2024) ; des problèmes de densité osseuse (voir, par exemple, van der Loos et al., 2023) ; et un risque accru de cancer et de maladies cardiovasculaires (voir Natalie J. Nokoff et al., 2021).
Ne pas donner ces traitements « augmente le risque de suicide »
Les auteurs argumentent avec deux études (Tordoff 2022, Turban 2020), dont la qualité a été évaluée faible dans les revues systématiques existantes avec de sérieux risques de biais et qui ont été débunkées à plusieurs reprises.
Alors que selon le Cass Review, « les preuves ne soutiennent pas de manière adéquate l'affirmation selon laquelle le traitement d'affirmation de genre réduit le risque de suicide. » (15.43). Les meilleures preuves disponibles (étude de cohorte finlandaise) suggèrent que le risque de suicide est attribuable à des conditions de santé mentale comorbides, et non à la dysphorie de genre elle-même et que « la réassignation sexuelle médicale n’a pas d’impact sur le risque de suicide » (Ruuska et al. 2024).
L’unique option de traitement préconisée est argumentée par « le pourcentage de jeunes ou d’adultes ayant effectué une nouvelle transition [qui ] reste faible, soit environ 1 à 6 % »
Pour argumenter, les auteurs citent entre autres :
Wiepjes et al. (2018). Cette étude présente des problèmes qui biaisent le taux de regret : mesure du taux de regret inadéquate (aucune des personnes ayant pris uniquement des hormones sexuelles croisées et subi une mammectomie n’ont été comptabilisées ; il fallait exprimer des regrets durant les échanges avec les professionnels de la clinique de genre, alors que selon une étude, la plupart des détransitionneurs n’informent pas la clinique de genre de leur détransition (Litmann 2021) ; temps de suivi court ; population actuellement différente ;perte de suivi importante (en savoir plus sur cette étude dans ce vrai/faux).
Olson et al. (2022), qui montre en réalité qu’une transition sociale précoce peut conduire à la persistance de la dysphorie de genre chez l'enfant. Comme le mentionne le Cass Review : « Ceux qui avaient effectué une transition sociale à un âge plus précoce et/ou avant d'être vus en clinique étaient plus susceptibles de suivre un parcours médical ». (76)
Roberts et al. (2022), qui suggère un taux de détransition jusqu’à 30 %, donc très éloigné des 1 à 6 %.
Actuellement, le taux de détransition est inconnu. Comme le conclut Cohn (2023), ce qui manque, c’est un suivi long terme de grands groupes de personnes trans au fil du temps, de profils similaires au profil actuel des jeunes s’identifiant trans, avec un instrument de mesure du regret approprié et une petite perte de suivi. Nous ne disposons pas d’études de cette qualité. Le Cass Review mentionne que « Le pourcentage de personnes traitées avec des hormones qui ont ensuite détransitionné reste inconnu en raison du manque d'études de suivi à long terme, bien qu'il y ait des indications que ce nombre est en augmentation ». (87)
Les bloqueurs de puberté sont indiqués pour la dysphorie de genre car ils sont utilisés depuis longtemps pour la puberté précoce.
C’est exact, mais il existe une différence significative :
quand ils sont prescrits pour retarder une puberté précoce (apparaissant avant 8-9 ans), ils permettent une trajectoire développementale normale ; ils ne suppriment pas le désir sexuel au moment des 1res relations amoureuses ; ils n’impactent pas la capacité de reproduction future, ni le développement cognitif et osseux.
lorsqu’ils sont utilisés pour bloquer une puberté normale, ils empêchent une trajectoire développementale normale ; ils suppriment le désir sexuel (castration chimique) au moment des 1res relations amoureuses (et les garçons sous bloqueurs en début de puberté seront très probablement des adultes anorgasmiques s'ils poursuivent par des œstrogènes à vie et une vaginoplastie, Bowers 2022) ; ils impactent la capacité de reproduction future si cela est suivi par des hormones sexuelles croisées, comme c’est le cas pour une grande majorité des jeunes qui suivent ce traitement (revue systématique Taylor : Care pathways (...) 2024) ; L’impact à long terme sur le développement cognitif et osseux est inconnu.
À ce sujet, le Dr Cass mentionne dans une interview qu’« il y a eu des études approfondies sur l'utilisation des bloqueurs de puberté juste pour arrêter cette puberté très précoce. Et puis, lorsque leur puberté reprend à un moment ultérieur, toutes les études à long terme ont été très rassurantes, c'est pourquoi ils sont autorisés pour ce groupe.
C'est une situation très différente d'un jeune dont les hormones connaissent les augmentations normales attendues durant la puberté, et de mettre cela en pause.
Parce qu'au cours de la puberté, toutes sortes de choses se passent. Votre cerveau se développe très rapidement. Vous développez ce qu'on appelle votre fonction exécutive, qui vous permet de faire face à des résolutions de problèmes complexes, à des capacités de jugement complexes. Et vous développez également votre sexualité et votre identité. Et nous ne savons tout simplement pas ce qui se passe si vous mettez des freins sur tout cela. » (wbur, 8 mai 204)
Les bloqueurs de puberté n’affectent pas le développement cognitif
Les auteurs argumentent par les résultats de 2 études :
Staphorsius et al. 2015 (US, 20 jeunes sous bloqueurs) :
évaluée par la revue systématique entreprise par le NICE en 2020 : qualité « faible » selon l’échelle de Newcastle-Ottawa. « Cette étude fournit des preuves de très faible certitude (sans analyse statistique) sur les effets des analogues de GnRH sur le développement ou le fonctionnement cognitif. Aucune conclusion ne pouvait être tirée. »
évaluée par la revue systématique de l’Université d’York (Taylor et al. 2024) : qualité faible selon l’échelle de Newcastle-Ottawa.
évaluée par la revue systématique suédoise Ludvigsson et al 2023) : la certitude des preuves n’a pas pu être évaluée. Déduction en GRADE : 2/4 pour le risque de biais, 2/4 pour la précision. « Comme aucune analyse avant-après de la thérapie GnRHa n'a été réalisée, l'étude n'a pas pu examiner les effets cognitifs potentiels de la thérapie hormonale. »
Arnoldussen et al. 2022 (Hollande, 72 jeunes sous bloqueurs) :
n’a pas été évaluée par les revues systématiques existantes, mais incluse dans la revue de littérature de Baxendale 2024 : « Arnoldussen et al. ont rapporté les résultats d'une évaluation du QI, avant le début du traitement par analogue de GnRH chez 72 enfants et ont examiné la relation entre cette mesure et un indice de progrès/réussite éducatif hautement simplifié et dichotomisé (‘éduqué professionnellement’ vs. ‘éduqué professionnellement supérieur/éduqué académiquement’). Avant le traitement, la moyenne et l'écart type du score de QI dans le groupe étaient comparables à la population générale (moyenne = 100, écart type = 15). 40 % des sujets éligibles ont refusé de participer au suivi. Aucune conclusion ne peut être tirée de cette étude concernant l'impact de la suppression de la puberté sur le développement de la fonction cognitive ».
Concernant l’impact des bloqueurs de puberté sur la fonction neuropsychologique, les revues systématiques existantes concluent globalement qu’« il est impossible de conclure ». La revue de littérature de Baxendale sur ce sujet conclut que « Des questions cruciales restent sans réponse concernant la nature, l’étendue et la permanence de tout arrêt du développement de la fonction cognitive associé aux bloqueurs de puberté ».
Les auteurs reconnaissent qu’ « il n’existe pas encore de données à long terme », confirmant le caractère expérimental de ces traitements, ce qui ne les empêche pas d’affirmer que les enfants peuvent y consentir de manière éclairée, malgré les inconnues sur l’impact à long terme.
L’administration de bloqueurs de puberté est une pratique clinique courante
Les auteurs mentionnent que le traitement par bloqueurs de puberté est « devenu une pratique clinique courante », ce qui peut laisser penser au lecteur qu’il s’agit d’une pratique éprouvée. Il n’en est rien : effectivement, depuis les années 2010, des mineurs peuvent recevoir des traitements médicaux pour modifier leurs caractéristiques sexuelles, suite aux résultats d’une expérience hollandaise initiée depuis la fin des années 1990, appelée Dutch Protocol. Cette « pratique innovante » a été documentée dans 2 études (2011 et 2014) qui concluaient que les bloqueurs de puberté amélioraient le fonctionnement général et diminuaient les symptômes dépressifs.
Cependant :
Ces résultats ont essayé d’être répliqués 2 fois, sans succès : en Angleterre : early intervention study, Carmichael et al. 2021, dont les résultats préliminaires en 2015-2016 n'ont pas démontré de bénéfice. Les résultats de l'étude n'ont été formellement publiés qu'en 2020 (les auteurs ayant eu des réticences à publier) ; aux US, vaste recherche initiée en 2015, financée par le National Institutes of Health : les chercheurs ont testé l'utilisation de bloqueurs de puberté sur 95 enfants (voir les caractéristiques psychosociales de la cohorte, Chen et al. 2020). La responsable de l’étude n’a pas voulu publier les résultats car il n’y avait pas d’améliorations de la santé mentale et elle ne voulait pas que leur travail « soit utilisé comme une arme » (New-York Times, 23 oct. 2024).
de nombreux chercheurs ont mis en évidence les faiblesses méthodologiques des 2 études et l'inapplicabilité du protocole au profil de la population actuelle.
Abbruzzese et al. 2023 décrivent l’adoption de ces interventions dans la pratique clinique courante comme la « diffusion incontrôlée » (Earl 2019) d’une pratique innovante sans passer dans un cadre de recherche clinique : « Le « traitement positif » à base d’hormones et de chirurgie s’est rapidement imposé dans la pratique clinique générale dans le monde entier, sans les recherches cliniques rigoureuses nécessaires pour confirmer les supposés avantages psychologiques robustes et durables de cette pratique. Il n’a jamais non plus été démontré que les bénéfices étaient suffisamment substantiels pour contrebalancer le fardeau de la dépendance à vie aux interventions médicales, de l’infertilité et de la stérilité, ainsi que des divers risques pour la santé physique ».
Le Cass Review mentionne qu’ « Il faut souvent de nombreuses années avant que des résultats de recherche fortement positifs ne soient intégrés à la pratique. (...) C’est tout le contraire qui s'est produit dans ce domaine. Sur la base d'une seule étude néerlandaise suggérant que les bloqueurs de puberté pourraient améliorer le bien-être psychologique d'un groupe étroitement défini d'enfants présentant une incongruence de genre, la pratique s'est répandue rapidement dans d'autres pays. (...) et à un groupe plus large d'adolescents qui n'auraient pas répondu aux critères d'inclusion de l'étude néerlandaise originale ». (p. 13)
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