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Témoignage recueilli par Magali Pignard

Dernière mise à jour : 25 sept.

 22 février 2024



Séverine (prénom d'emprunt), 50 ans, a un enfant autiste. Elle-même a été diagnostiquée autiste à l'âge de 42 ans et subi des violences sexuelles étant enfant.

Elle est active dans une association dédiée aux personnes autistes. Séverine décrit son enfance, adolescence et son rejet d'être une fille sans comprendre vraiment les raisons, jusqu'à ce que....

 

D’aussi loin que je m’en souvienne, je n’ai jamais voulu être une fille et je ne comprenais pas pourquoi on me considérait comme telle.

Mes premiers souvenirs sont liés aux vêtements, que je détestais. J’enlevais systématiquement tout ce que l’on me mettait. Cela s’est arrêté à la rentrée de maternelle, quand mon comportement inadapté a causé un scandale terrible. Moi qui souhaitais plus que tout passer inaperçue, j’ai décidé d’accepter les vêtements… Pour autant, j’enlevais en douce tout ce qui ne se voyait pas (sous-vêtements, sous-pulls, bas et chaussettes…).

Malgré cette première acceptation, ma mère devait se battre avec moi pour m’habiller. À son grand désespoir, elle n’arrivait pas à m’habiller en robe et en jupe. J’exécrais tous ces trucs à fleurs et à volants dont on voulait m’orner. J’avais l’impression d’un déguisement dont il fallait se parer, alors que je voulais juste mettre un pantalon, un tee-shirt et des chaussures confortables, comme tous les garçons. Je vivais très mal ces demandes incessantes de m’habiller « comme une fille ». Tout cela était exacerbé par le fait que j’étais la seule fille dans une famille de garçons et que je pouvais mesurer tous les jours la différence de traitement entre nous, alors que j’étais comme eux. C’était pour moi d’une très grande violence.

Dans l’autre milieu que je fréquentais, l’école, j’étais naturellement placée avec les filles, parmi lesquelles je me sentais un OVNI. Je ne comprenais rien à ce qu’il fallait faire, à ce qu’elles racontaient, aux jeux auxquelles elles jouaient… Je n’avais aucune relation d’amitié et l’on se moquait souvent de moi. Ma première année de maternelle, j’ai même subi une forme de harcèlement de la part de trois petites filles. Elles riaient sans cesse de ma façon de me comporter, de parler, de mes centres d’intérêt, de ma naïveté qui leur permettait de me jouer de nombreux tours…

Ce n’était donc pas que dans ma famille : à l’école aussi je n’étais pas à ma place. Mon sentiment d’être un OVNI dans ce monde s’entremêlait avec mon rejet des normes imposées aux filles. Au fond de moi, je n’étais pas ce que l’on appelle « une fille ».

Au primaire, ma mère a eu la bonne idée de m’inscrire à la danse classique, un milieu exclusivement féminin dans lequel les codes sociaux sont particulièrement cinglants et s’insinuent au plus profond du corps. J’avais l’impression d’être un tube avec quatre baguettes en guise de membres, et on me demandait d’être « gracieuse ». Il fallait étirer ses muscles pour « faire joli », chose dont j’étais incapable, déjà que j’arrivais à peine à supporter le justaucorps ridicule dont j’étais affublée… Ma professeure de danse me regardait avec dégoût. Un jour, excédée par mon incapacité à faire un mouvement, elle me dit que je n’avais rien d’une fille. Je ne comprenais pas sa violence envers moi mais j’étais totalement d’accord avec elle.

Les cours de danse classique sont mes premiers souvenirs de dégoût profond envers mon corps. J’avais déjà compris que je n’étais pas une fille, et ce sentiment s’est combiné avec la haine de mon propre corps. Il y avait quelque chose qui n’allait pas du tout. Je n’arrivais à rien dans ce monde, je ne correspondais à rien, tous mes efforts pour m’intégrer échouaient ; il m’était tout simplement impossible de trouver ma place. J’avais l’impression que tout le monde me détestait, et je me détestais aussi.

À l’adolescence, ma détresse s’est encore accentuée, ainsi que les différents harcèlements. Mon corps est devenu l’un de mes principaux sujets de haine. Avec la puberté, mes seins ont poussé très vite, d’autant plus que j’ai pris beaucoup de poids. Je ne supportais pas mes seins et je ne supportais pas qu’on les voit. Je mettais des pulls très amples (même en été) et me voûtais pour essayer de les cacher. J’aurais donné n’importe quoi pour qu’on m’en débarrasse.

À l’époque, il n’y avait pas de réseaux sociaux, et c’est seulement vers l’âge de quinze ans que j’ai appris que l’on pouvait opérer une poitrine pour la diminuer. C’était l’époque des Sabrina, Samantha Fox, Pamela Anderson et autres Lolo Ferrari, et l’explosion des augmentations mammaires. Plus on avait de seins, plus on est femme… Dès que j’ai découvert que l’on pouvait réduire une poitrine, j’ai fait une fixation sur cette opération qui me permettrait enfin de me sentir mieux dans ce corps qui ne me correspondait pas. Après des mois de harcèlement auprès de mes parents, j’ai enfin pu bénéficier d’une réduction mammaire. J’ai persuadé le chirurgien de réduire ma poitrine au minimum.

L’opération s’est très bien passée. J’étais ravie d’avoir une petite poitrine et de soulager un peu ce sentiment profond de dégoût. Je pensais que mon corps correspondait déjà plus à qui j’étais. Pourtant, ma souffrance intérieure n’a pas du tout disparu. Bien au contraire, je souffrais désespérément mais cette fois sans raison. Je n’avais rien pour expliquer cette souffrance. Deux mois plus tard, convaincue que je n’avais pas ma place dans ce monde, j’ai décidé qu’il était moins difficile de vivre dans la rue que d’essayer de se conformer à ce que l’on attendait de moi. J’ai fugué et j’ai (sur) vécu dans la rue pendant environ 6 mois, jusqu’à ce qu’un contrôle de police me ramène chez mes parents. Deux mois plus tard, j’ai fait ma première tentative de suicide (j’en ai fait quatre en tout).

Je pourrais continuer indéfiniment les récits de dégoût de moi-même et de mon corps, de détresse psychologique, de tentatives de suicide, de scarifications, de troubles du comportement alimentaire, d’hospitalisations psychiatriques, etc. Ce n’est que bien plus tard que j’ai commencé à obtenir des explications à ma détresse. Vers l’âge de 30 ans, j’ai retrouvé des souvenirs de viols subis de l’âge de 5 à 9 ans. À 42 ans, j’ai obtenu un diagnostic de syndrome d’Asperger. Ces deux éléments suffisent à eux seuls à expliquer pourquoi je ne comprenais pas et n’adhérais pas aux codes sociaux, et plus particulièrement à ceux associés à mon sexe. Dans une société profondément inégalitaire qui maltraite les petites filles, j’aurais donné n’importe quoi pour ne pas être une fille. Ces diagnostics expliquent aussi pourquoi mon corps m’était devenu insupportable.

Lorsque j’ai commencé à me reconstruire, j’ai beaucoup souffert de l’image de cette poitrine couverte de cicatrices qui n’était plus la mienne. Je suis d’ailleurs très critique envers ceux qui ont accepté aussi facilement cette automutilation médicalement assistée. Ce n’était pas d’un bistouri dont j’avais besoin, c’était d’une prise en charge de ma souffrance psychiatrique et d’un diagnostic.

Aujourd’hui, je ne peux que constater que l’image de la féminité véhiculée par les médias et plus encore par les réseaux sociaux est encore plus violente qu’à mon époque. Les modèles de réussite que l’on présente aux jeunes filles sont des femmes hypersexualisées, féminisées jusqu’à en devenir des parodies d’elles-mêmes… Elles sont riches parce qu’elles ont fait une sextape ou encore parce qu’elles se sont prostituées… Puisqu’il paraît que c’est cela être une femme, il est normal que de nombreuses jeunes filles cherchent par tout moyen à échapper à leur statut de femme. C’est presque inévitable si on est autiste et qu’on n’adhère pas aux codes sociaux que la société nous impose et/ou si l’on a été victime de violences sexuelles (et plus encore dans l’enfance). Si j’étais jeune aujourd’hui, enfermée dans mon amnésie traumatique et sans diagnostic, je serais probablement une militante fervente du concept d’identité de genre.

Ceci n’est que mon expérience personnelle. Pour autant, j’ai aussi l’expérience d’avoir suivi plusieurs filles et femmes autistes. En effet, au primaire, mon fils (autiste lui aussi) s’est fait une amie qui se déclarait garçon de façon très ferme et souhaitait entamer au plus vite une transition. J’ai très rapidement décelé un syndrome d’Asperger chez cette jeune fille, confirmé quelques années plus tard. Après le diagnostic, elle a commencé à évoluer sur la question de la transition. Aujourd’hui, elle a totalement abandonné l’idée d’être un garçon. Cette histoire s’est répétée car mon fils m’a ramené plusieurs fois des camarades en questionnement sur le genre. À chaque fois, il s’est avéré que ces jeunes filles étaient autistes et, le plus souvent, victimes de violences sexuelles. Une autre fois, j’ai accompagné un jeune garçon autiste qui évoquait son ressenti d’être une femme. Il s’est avéré en fait que ce garçon vivait très mal la découverte de son homosexualité et qu’il avait été convaincu d’être une femme par des échanges sur les réseaux sociaux. Se penser femme lui permettait de se penser hétérosexuel… Il aura suffi de l’accompagner dans l’acceptation de son homosexualité pour que son sentiment d’être une femme disparaisse.

Je fais également partie d’une association de personnes autistes au sein de laquelle j’ai créé un groupe de parole dédiée aux filles et femmes autistes. Toutes ont connu un parcours complexe dans leur rapport à leur corps, leur sexe, et un rejet plus au moins ou conscient des normes associées à la féminité.

Aujourd’hui encore, je refuse d’adhérer aux stéréotypes de genre. Je ne les accepte tout simplement pas, et plus encore je les combats. Je suis une femme parce que c’est la réalité biologique qui m’a faite ainsi. Pour tout le reste, je suis une personne LIBRE.

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