Sapere Aude !
Ose savoir !
Horace (épître, I,2,40)
L'appel de l'Observatoire
L’Appel de l’Observatoire des discours idéologiques sur l’enfant et l’adolescent : impacts des pratiques médicales sur les enfants diagnostiqués
« dysphoriques de genre »
I – Le Contexte
L’évolution du diagnostic de « dysphorie de genre » chez des enfants et des adolescents ces dernières années a de quoi interpeller : depuis dix ans, les demandes de réassignation de sexe se sont, dans cette catégorie d’âge, accrues de manière exponentielle selon les pays (1).
Que doivent comprendre les professionnels de l’enfance et de la jeunesse, pédagogues, médecins ou psychologues, de l’explosion récente de cette demande voire revendication ?
La parole libérée au sujet de la dite « transidentité » a-t-elle seule permis au phénomène de prendre une telle ampleur ? Ou bien l’activisme parfois très offensif et très clivant de certaines associations militantes LGBTQI - potentialisé par les réseaux sociaux - n’induit-il pas des pressions politiques sur les jeunes et leurs familles ?
On assiste à l’émergence de discours idéologiques sur la « transition de genre » des mineurs, idéologiques en ce qu’ils préemptent tout débat : le moindre doute sur les pratiques est aussitôt qualifié de « transphobe » alors que l’intérêt supérieur de l’enfant est en jeu en particulier à propos des conséquences médicales irréversibles sur le corps de l’enfant (cf. infra).
L’Appel de l’Observatoire porte essentiellement sur la protection de l’enfant et la préservation de son intégrité physique et psychique. C’est sur ce point-là précisément qu’il est urgent d’alerter les politiques (ministère de la santé, ministère de l’éducation nationale, secrétariat d’état à la protection de l’enfance) et le Conseil national de l’Ordre des médecins.
En effet, la « dysphorie de genre » des enfants et des adolescents témoigne à la fois d’une question intime posée par un enfant ou un adolescent mais aussi de la manière dont les enfants et les adolescents se font caisse de résonance, voire instrument du corps social qui valide immédiatement leur demande.
De jeunes personnes expliquent se sentir appartenir à l’autre sexe et y voir assurément la réponse à leur mal-être.
Les pratiques médicales cèderaient-elles donc à l’injonction de nouvelles normes sociales sans débat possible, sans réflexion concertée entre les différents professionnels de l’enfance, sans observation élémentaire du principe de précaution ?
N’est-il pas permis, sans nous voir frapper de l’anathème de « transphobie », d’interroger au préalable ce mal-être des jeunes en mal d’identité et en proie à toutes sortes d’angoisses ?
II – Le cas symptomatique du documentaire « Petite fille »
Le documentaire Petite fille, de Sébastien Lifshitz, diffusé sur Arte en décembre 2020, et qui fait suite à un autre film, Girl, de Lukas Dhont, sorti en 2018, a révélé au grand public ce sujet très sensible de « la dysphorie de genre ».
Ce sujet de la « transition » de genre envisagée chez un jeune enfant est lié à la vulnérabilité de l’enfant et au désarroi des familles confrontées à cette problématique. Ce film présente le désir d’un petit garçon de devenir une fille comme un état de fait non discutable sans prendre en compte la complexité familiale alors même que la construction de l’identité de l’enfant est consubstantielle du milieu dans lequel il évolue.
Dans ce documentaire, on nous présente un enfant, Sasha, 8 ans, dont la mère rapporte les paroles selon lesquelles il aurait exprimé (très précocement) le désir de devenir une fille « comme elle » quand il sera grand, ce qui est interprété comme « devenir une femme ». Autrement dit, quand l’enfant fait entendre son rêve de devenir comme sa mère, la réponse apportée est celle d’un traitement médical, autorisé et même préconisé, et qui débuterait dès le plus jeune âge :
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Dans un premier temps, l’entourage de l’enfant, dont l’école, est invitée à considérer, dans les termes et dans les faits, Sasha comme une petite fille et non plus comme un petit garçon.
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Des bloqueurs de la puberté lui seront prescrits avant même la puberté, pour éviter que les caractères sexuels secondaires ne s’installent.
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Des hormones de l’autre sexe pourront lui être proposées avant sa majorité (dès 14 ans, en France).
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Les interventions chirurgicales seront possibles, avec l’accord des parents, dès avant la majorité.
Cet enchaînement des faits soulève selon nous plusieurs questions capitales :
1. Documentaire ou docu-fiction ? La mise en scène du protocole médical
Le parti pris militant du documentaire interroge. On n’y entend qu’un seul point de vue (rarement celui de Sasha au final, plutôt celui de sa mère) et aucun autre professionnel qui gravite, normalement, autour d’un enfant, n’est interrogé : pédiatre, psychologue, enseignants, etc.
Plus étonnant encore, le déroulé de la prise en charge par le centre spécialisé que la mère de Sasha consulte. En effet, soit Petite fille est une création partiale, engagée, mise en scène, qui devrait alors être présenté comme un « documentaire-fiction » (2) composé d’inexactitudes, de caricatures et d’ellipses, et dénoncé par la consultation spécialisée de Robert Debré comme ne représentant pas la réalité de leur travail ; soit ce documentaire est réaliste et en ce sens, il nous paraît très inquiétant de découvrir qu’un diagnostic de « dysphorie de genre » peut être posé dès le premier entretien par un pédopsychiatre :
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sans un entretien seul avec l’enfant,
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sans que l’enfant n’ait jamais rencontré de psychologue avant orientation vers l’un des centres français spécialisés connu pour son approche doctrinale
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sans que la pédopsychiatre rencontre les deux parents,
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sans investigation particulière (bilan psychologique complet : tests projectifs, questionnaires, regard sur la scolarité, questions auprès des autres adultes qui connaissent l’enfant),
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sans que l’enfant n’énonce plus que quelques phrases,
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sans même qu’on le laisse répondre par lui-même aux questions qui lui sont posées.
Tel est le regard du réalisateur sur le problème et c’est ce point de vue (partiel et partial) qui est montré au grand public. Tel est le protocole médical que restitue le réalisateur.
Si l’on compare avec des diagnostics plus communs, ayant de bien moindres conséquences médicales, on s’aperçoit que le processus, étrangement, est beaucoup plus strict :
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Pour qu’un enfant bénéficie d’un tiers temps aux examens en cas de dyslexie, il faut monter un dossier auprès de la MDPH, incluant un bilan orthophonique, psychologique et un rapport pédiatrique.
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Pour qu’un enfant soit diagnostiqué TDA/h et bénéficie d’un traitement médicamenteux adapté, il lui faut une recommandation médicale et un bilan neuropsychologique avant même d’obtenir un rendez-vous auprès d’un pédopsychiatre, exclusivement hospitalier, qui sera le seul à pouvoir la première fois ET les suivantes lui prescrire de la métylphénidate (plus connue sous le nom de Ritaline).
Le film, qui suppose un montage réfléchi et orienté, montre que, au second rendez-vous avec la pédopsychiatre, deux ou trois mois plus tard, l’enfant n’est toujours pas rencontré seul, il n’a toujours pas bénéficié de la moindre investigation psychologique alors que, en revanche un rendez-vous avec l’endocrinologue va se faire le jour même afin de préparer le protocole de changement de sexe.
De quoi s’agit-il ? De proposer des bloqueurs de la puberté et de permettre à Sasha de conserver malgré cela ses capacités de procréation (3), soit en arrêtant le traitement qui inhibe sa puberté le temps nécessaire au recueil de spermatozoïdes (mais cette option semble moins privilégiée par le médecin), soit par une maturation in vitro des testicules, tout cela « expliqué » en quelques mots à un enfant de huit ans. Il est donc déjà prévu que Sasha, 8 ans, entre dans un parcours de « transition de genre » qui entraîne un changement radical de son apparence, impliquant sa future castration et par conséquent sa stérilité définitive.
La mise en place de ces premiers protocoles pour les enfants (entendus au sens de la Convention Internationale des droits de l’enfance, comme âgés de moins de 18 ans) commencent dans plusieurs pays à générer des procédures juridiques engagées par certains adultes ayant subi ces traitements avant leur majorité et ayant amorcé ensuite une « détransition ». Ces plaignants, soutiennent que les protocoles ont été mis en place alors qu’étant enfants, ils n’avaient pas la capacité de comprendre leurs implications (jugement Bell / Tavistock) (4) et donc de donner un consentement éclairé et réel à ces protocoles.
On peut croire que Sasha rêve d’être une fille ; on doute déjà un peu plus qu’il ait bien compris ce qu’étaient les bloqueurs de la puberté, ce que la prise d’un tel traitement impliquait comme renoncements et complications jusqu’à la fin de ses jours, et on peut être certains qu’il ne peut pas concevoir la réalité d’une ablation de son appareil génital, dont l’usage sexuel lui est encore inconnu, tout autant que la sexualité de l’adulte.
Vis-à-vis de l’éthique médicale, force est de constater une double transgression (du dispositif tel qu’il est présenté par le réalisateur) :
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L’absence d’écoute des parents et surtout de l’enfant avant de poser le diagnostic de « dysphorie de genre »
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Le fait de pratiquer des interventions avant la puberté
2. Le mauvais objet : l’école de l’intolérance
Un autre aspect très problématique dans la présentation des faits soulève à notre sens une défaillance de déontologie politique en plus du problème de déontologie médicale : l’école de Sasha est d’emblée présentée comme une institution réactionnaire et rétive face à la demande des parents de voir leur enfant considéré comme une fille, parce qu’elle serait intolérante et hostile (c’est là le regard du réalisateur au travers du discours des parents).
Si l’on peut comprendre la colère et la frustration de la mère de Sasha, il nous paraît surprenant que ne soit pas loué le bon sens de l’établissement scolaire :
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Premièrement les institutions scolaires n’ont pas à accepter systématiquement des demandes particulières de parents quand celles-ci ne sont pas justifiées et reconnues par un spécialiste (on notera que l’école accepte sans problème le protocole recommandé par l’hôpital Robert Debré pour la rentrée suivante). L’école est tenue de respecter les articles du Code Civil relatif au changement de sexe (art. 61-5 et s. du Code civil) et changement de prénom (article 57 et 60 du Code civil). Si un élève demande à être désigné par un prénom qui ne figure pas sur son état civil, l’établissement scolaire n’est pas tenu de donner suite à cette demande.
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Deuxièmement on peut se féliciter que l’école, rare tiers entre l’enfant et ses parents, ne prenne pas pour argent comptant les discours des parents, et fasse une réponse dilatoire dans l’attente d’une expertise médicale et psychologique. L’École, en tant que service publique de l’éducation, représentant l’État, est porteuse d’assistance auprès des enfants, censée prévenir et protéger les élèves et leur liberté de conscience contre toute tentative de pression, d’endoctrinement (5) et de violence, qu’elles aient lieu dans l’établissement ou en famille.
Ainsi, il apparaît clairement qu’un parti pris politique sous-tend l’argumentaire du film : pris dans une rhétorique radicale et militante, l’enfant est ici transformé en porte-parole de la cause trans face à une société tenue d’obtempérer sans sourciller aux injonctions communautaires imposées par des associations LGBTQI sous peine de faire entrave au progrès sociaux et aux droits de futurs citoyens. Or, cette pensée essentialiste qui détermine et fige les identités sexuelles dès l’enfance est profondément contraire aux principes universalistes et humanistes dont se réclame l’École.
Les enseignants n’ont pas pour mission d’accéder automatiquement aux revendications particulières de chaque communauté au détriment des principes fondateurs de l’Ecole républicaine, mais au contraire de prémunir les élèves des pressions de groupes (religieuse, communautaire, politique, etc.), d’assurer leur intégrité corporelle et de préserver leur esprit encore en formation, des discours sectaires, radicaux ou des influences extérieures. C’est dans cet esprit que s’inscrivent les règles de notre laïcité scolaire, et c’est sur la foi de celles-ci que l’on pourrait aussi bien interpréter les réticences des professeurs de Sasha face à ses parents. Aurions-nous tant de préventions devant le refus de l’institution scolaire face aux doléances d’un élève fervent amish, fût-il soutenu par ses parents ?
III – L’enfant, un être en développement
Il nous parait surtout fondamental d’être attentif au processus développemental propre à l’enfance et à l’adolescence et de prendre le temps avant toute indication de traitement médical. L’urgence à intervenir étant mise sur le compte de la survenue des transformations pubertaires, qui modifieraient la « réussite » potentielle des transformations chirurgicales à venir.
Le 3 décembre 2020, une tribune parue dans The Guardian (6), a mis en exergue le cas de Bell, une ancienne patiente qui regrette le traitement de transformation de genre reçu pendant son adolescence et fait valoir qu’elle était trop jeune pour consentir au traitement médical qui a commencé sa transition femme-homme à cette époque précoce de sa vie. Dans sa décision de 38 pages citée ci-dessus (7), la Haute Cour de Londres, a conclu que les enfants de moins de 16 ans qui envisagent de changer de sexe ne sont pas suffisamment mûrs pour donner leur consentement éclairé à se voir prescrire des médicaments bloquant la puberté. Et pour les jeunes âgés de 16 et 17 ans, elle a indiqué que, quand bien même la loi (britannique) institue pour eux une présomption juridique de capacité à consentir aux traitements médicaux (8), elle est consciente du fait que les médecins pourraient considérer qu’ils doivent demander l’autorisation d’un tribunal (9) avant de commencer le traitement. Elle semble ainsi par cette conclusion préconiser aux médecins de ne pas commencer de traitement pour les jeunes mineurs de 16 et 17 ans, avant d’avoir recueillir un avis judiciaire. Avec cette décision de la Haute Cour, l’intervention médicale pour les mineurs – et en particulier pour ceux de moins de 16 ans - souffrant de dysphorie de genre sera, nous l’espérons, plus prudente.
1. Troubles psychiques associés
La « transidentité » chez les mineurs est présentée par certains comme un droit, une avancée sociétale, qu’il serait discriminant de questionner, de considérer comme un symptôme. Pourtant, notre expérience après un siècle de travaux en psychologie de l’enfant nous oblige à la considérer d’abord comme transitoire voire symptomatique.
A l’adolescence notamment, l’interrogation de son identité sexuée fait partie d’un questionnement propre à cet âge. Or cette quête adolescente, moteur habituel du processus de maturation indispensable à la construction subjective du futur adulte, serait susceptible de trouver à présent un mode de nomination que les réseaux sociaux instaurent comme vérité subjective. L’offre technico-médicale grandement relayée par les réseaux sociaux et les propagandes communautaristes nient et voudraient abolir cette étape fondamentale de la construction subjective.
L’augmentation des demandes interroge leur cohérence supposée et surtout la réponse univoque qui leur est apportée. Cette multiplication récente (moins de 10 ans) a pu être favorisée par deux facteurs, très différents mais pas nécessairement incompatibles :
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les sujets concernés par un questionnement sur leur sexe se sentent enfin autorisés à exprimer leur détresse grâce à une plus grande tolérance de la société à leur égard ;
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un pan important de ces demandes proviennent d’un phénomène sociétal (10), où la « transidentité » apparaît comme une réponse à un mal-être profond à l’adolescence, réponse radicale, médicalisée, qui résoudrait une fois pour toutes les difficultés.
C’est sur ce deuxième point que nous souhaitons attirer l’attention. En effet, il apparaît que depuis que le désir de « transition de genre » n’est plus considéré comme une entité psychopathologique par la nouvelle version du DSM, il n’est plus non plus envisagé comme symptôme d’une structure psychique vulnérable, alors même qu’on trouve, chez ces jeunes, un nombre très important de troubles psychiatriques associés : anorexie, autisme, dépression, troubles psychotiques, traumatismes liés à des agressions sexuelles, etc.
2. Un enfant n’est pas un adulte miniature
Notre questionnement ne se pose pas sur la « transidentité » en tant que telle, ni sur son diagnostic ou son étiologie, mais bien sur la continuité, qui semble trop évidente dans les discours militants autour de cette question, entre le trouble de l’enfance, celui de l’adolescent et celui de l’adulte.
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En effet, un enfant – et même un adolescent – n’est pas un adulte : c’est un être en développement, son système neuronal est en voie de maturation, ses capacités cognitives et intellectuelles sont immatures, son fonctionnement psychique est labile, sa suggestibilité aux discours des adultes est importante, son expérience de la vie est limitée. Pour résumer, la psychopathologie de l’enfant est singulière, les nosographies diffèrent entre enfant, adolescent et adultes, on ne peut donc pas lui appliquer les mêmes critères ni la même amplitude de décision.
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D’autre part, la puberté n’est pas seulement un phénomène physique mais bien un processus de développement et de maturation psychologique, impliquant des remaniements psychiques, permettant à l’individu de devenir davantage « sujet » quand cette étape se déroule suffisamment bien. À l’inverse, la puberté et plus largement l’adolescence est une période à risques psychiques importants, et nous savons tous depuis fort longtemps à quel point cette partie de l’existence est majeure dans l’apparition de pathologies psychiatriques.
3. La demande de l’enfant ?
Il nous apparaît crucial d’interroger la demande, supposée être celle de l’enfant, de changer de sexe.
Nous savons comme l’enfant est influençable par le discours des adultes et de ses pairs. Cela ne remet pas en question ses capacités de penser par lui-même, mais nier les suggestions extérieures, parfois d’emprise, relèverait de la mauvaise foi.
Sans même chercher à discuter le fait que l’enfant « se sente » appartenir à l’autre sexe, nous pointons comme n’allant pas de soi le principe de la mise en œuvre d’une transformation irréversible qui débuterait avant et durant la puberté et le processus d’adolescence.
De nombreuses études sur ce sujet montrent que la majorité des enfants présentant des questionnements quant à leur identité sexuée et les critères d’appartenance à un genre, ne poursuivront pas leur transformation après la puberté (85%) (11). Ces données étant connues, pourquoi est-il immédiatement prévu, dès lors que la dysphorie est diagnostiquée, d’engager un protocole sur plusieurs années impliquant des rencontres avec les endocrinologues, des prévisions sur la maturité des organes sexuels de naissance, des projets chirurgicaux, etc. ?
IV – L’atteinte au corps de l’enfant ou de l’adolescent
1. De prétendus bénéfices psychiques
Certains psychiatres brandissent systématiquement un risque suicidaire prétendument majeur chez cette jeune population, pour disqualifier comme ayant des conséquences criminelles tous les comportements relevant de la prudence et questionnant la radicalité du traitement, ou suggérant simplement la nécessité de prendre du temps.
Ainsi, le père d’une jeune fille qui a décidé de changer de sexe, témoigne-t-il de la façon dont il lui est demandé, chaque fois qu’il interroge l’urgence de la prise en charge « Monsieur, préférez-vous une fille morte ou un garçon vivant ? » (12). Cette formule, régulièrement reprise par différents interlocuteurs, prend en otage ce père qui est sommé de choisir entre être un bon père ou un mauvais père « transphobe », qui plus est responsable du suicide supposé de son enfant (13).
Il paraît important pourtant de souligner :
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Que les études qui prétendent qu’il existe un tel risque sont limitées et controversées (14), car elles ne peuvent démontrer que d’autres facteurs ne soient pas en cause. Elles ne se fondent sur aucun dispositif scientifique comme la tenue de groupes de contrôle, ou d’études longitudinales
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On peut voir un effet bénéfique du traitement hormonal sur le moment, mais on ne sait pas plus ce qui se passe les années suivantes.
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Que le risque suicidaire est en effet plus important dans la population trans, mais cela même chez les adultes, même après les transformations sociales et physiques effectuées.
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Qu’enfin, quand bien même ce traitement paraîtrait pertinent dans certains cas, il s’avère que la réalité des regrets est patente chez certains sujets « détransitionneurs » (15).
2. Les inhibiteurs de la puberté
Les bloqueurs de la puberté (16), permettant la non-apparition des caractères sexuels secondaires, sont présentés comme ayant un effet apparemment réversible dès lors qu’ils sont arrêtés. Les médecins n’ont à ce jour que peu d’études lorsqu’ils sont administrés entre 12 et 16 ans.
En revanche, des études montrent des effets secondaires à court et moyen terme chez l’enfant, on peut noter :
Des effets modérés :
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maux de tête,
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bouffées de chaleur,
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douleurs abdominales,
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saignements vaginaux chez la fille,
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prise de poids
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changements d’humeur,
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Des effets plus marqués :
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diminution de la densité osseuse (1% par mois),
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risque de dépression
Ces bloqueurs de puberté, associés à des hormones antagonistes, peuvent entraîner la stérilité définitive, quand bien même les organes génitaux seraient préservés. Il paraît très étonnant d’imaginer qu’un enfant ou un adolescent est en mesure de renoncer, pour le reste de sa vie adulte, à une possible conception d’enfant.
Enfin, la puberté chez l’humain ne correspond pas seulement à l’accès à la génitalité adulte, mais elle est simultanément une période d’intenses remaniements psychiques qui contribuent au processus de subjectivation : chaque adulte sait à quel point cette période de sa vie est fondatrice de sa personnalité, de son orientation sexuelle, de la découverte de son corps et des plaisirs génitaux, de la nécessaire séparation d’avec les figures parentales, etc.
La question est vive : peut-on, sans cette expérience, s’assurer que l’individu se développe de manière à pouvoir savoir ce qu’il veut réellement ? La question de l’expérience de vie réelle est majeure et ne peut être secondarisée. L’éthique nous impose ces questions qui, d’ailleurs, sont actuellement très vives quant au consentement, à la possibilité de décider librement lorsqu’on vit encore, ce qui est le cas pour chaque enfant, sous l’autorité des adultes à qui l’on prête un savoir.
3. Les hormones antagonistes
L’hormonothérapie suivie dans le cadre d’un changement de sexe n’est pas sans danger pour la santé.
Les œstrogènes sont à déconseiller en cas d’hypertension artérielle, diabète, épilepsie, lupus, troubles hépatiques, migraines sévères, otospongiose. Ils entraînent des risques à long terme : pourcentage d’AVC augmenté, accidents thrombo-emboliques veineux voire artériels, problèmes métaboliques avec hypercholestérolémie, calculs biliaires et prise de poids.
Les risques métaboliques et vasculaires des progestatifs de synthèse s’additionnent à ceux des œstrogènes et entraînent l’augmentation de méningiomes secondaires à des traitements par acétate de chlormadinone, ou acétate de nomégestrol, progestatifs fréquemment prescrits.
En ce qui concerne la testostérone, l’effet est définitif au niveau de la virilisation, notamment la pilosité et la voix. L’existence d’effets secondaires nombreux nécessite un examen médical approfondi avant toute prescription, ainsi qu’un suivi biologique : hypertension artérielle et risque d’infarctus du myocarde, hypercholestérolémie, thromboembolie veineuse, hypercalcémie, prise de poids, prudence en cas de thrombophilie, chez les migraineuses, diabétiques, épileptiques, insuffisantes hépatiques entre autres.
Fréquemment sont notées des sautes d’humeur, une agressivité, de l’impatience en cours de traitement.
D’après une étude de 2018 (17), les femmes transgenres présentent un risque presque deux fois plus important de développer une maladie thromboembolique veineuse. Ce risque s’accroit encore davantage avec les années. En ce qui concerne le risque de faire un AVC causé par un thrombus, les probabilités étaient 9,9 fois plus élevées chez les femmes transgenres que dans le groupe témoin.
4. La chirurgie
La chirurgie est incontestablement lourde, à risque et très imparfaite (18). En fonction du pays, elle est possible avant la majorité. C’est le cas en France même si cela semble encore peu pratiqué pour le moment. Il faudrait connaître le nombre d’opérations effectuées chez les mineurs présentant une « dysphorie de genre » puisque ces interventions chirurgicales sont mutilantes (mastectomie chez la fille notamment, ablation des testicules chez le garçon).
Il ressort de tout cela que dans le contexte actuel, on est en face d’expérimentations médicales sur enfants, ce qui est formellement interdit, et contraire à la déontologie médicale (le primum non nocere du serment hippocratique)
V – Des recommandations de bon sens
Il ne s’agit pas, bien évidemment, de laisser un enfant seul face à sa détresse réelle dans un conflit de genre. Si la souffrance de l’enfant se doit bien évidemment d’être entendue, accueillie et accompagnée, les adultes doivent, de leur côté, assurer protection aux enfants et cela parfois au détriment de la satisfaction immédiate de leur désir. L’attente d’une solution semble souvent une souffrance insupportable, d’autant qu’elle s’ajoute à une détresse initiale. Et pourtant nous savons tous fort bien que l’attente permet un travail de réflexion sans précipitation, l’introspection détachée des influences de l’environnement, elle permet aussi de dépasser les moments critiques et de poursuivre son développement, son évolution personnelle. Psychique et somatique sont intimement liés, et il n’existe jamais de réponse unilatérale et immédiate à une problématique psychique. Il est donc capital dans toute approche de préserver la possibilité d’un temps long aujourd’hui malmené par l’idée d’une supposée urgence médicale et de savoir attendre en particulier l’âge requis pour s’assurer de la faculté de discernement de ces sujets
1. Sur le plan médical
Il nous parait très inquiétant et problématique de traiter des sujets en devenir en leur interdisant l’accès à un stade de développement indispensable à leur construction psychique. L’intérêt supérieur de l’enfant, lié à son immaturité physique et cognitive, devrait nous interdire toute intervention sur son corps qui ne relève pas de l’urgence vitale ou des soins essentiels à sa santé. Les thérapies verbales, familiales et individuelles, devraient primer durant toute l’enfance et l’adolescence pour aider l’enfant à trouver des réponses particulières à sa souffrance (et non pas lui proposer un protocole médical systématisé) en préservant ou en ouvrant chez lui la possibilité d’un doute sur sa problématique.
Nous préconisons :
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Des études pluridisciplinaires de santé publique menées dans les services hospitaliers, les collèges et les lycées afin de montrer l’importance quantitative de la « dysphorie de genre »
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Des études et recherches médicales et psychiatriques sérieuses, sans conflit d’intérêts ou visée idéologique, doivent être entreprises pour mieux connaître cette nouvelle et très jeune population, pour déterminer l’impact physique et psychique de ce type de traitement chez l’adulte avant de l’appliquer uniformément chez l’enfant et l’adolescent, pour observer l’impact de l’environnement familial mais aussi des influences sociétales récentes.
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Il serait pertinent, comme l’a fait le Royaume-Uni et comme commencent à y penser d’autres pays (États-Unis, Suède, Suisse), de soumettre à un Comité de Réflexion et d’Ethique composé d’experts psychiatriques et juridiques, mais aussi de personnes concernées par la protection de l’enfance, cette question afin que, nous aussi en France, nous légiférions sur cette atteinte au corps du mineur.
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Enfin, la création de consultations d’investigation longues et/ou de psychothérapies spécialisées indépendantes des hôpitaux, des lieux de consultations neutres et indépendants de toute emprise idéologique, menées par des personnels spécialisés ayant suivi une formation multi-critères (médicale, psychologique, sociologique, juridique, etc…) adaptée à ces problématiques, afin d’accueillir ces familles en questionnement et souvent en crise, et devant rendre compte de leur travail devant des juridictions adéquates. On ne peut limiter cette tâche à des actes médicaux consistant à signer des autorisations de traitement menées par les endocrinologues, aussi performants soient-ils, comme on le constate dans nombre de service de psychiatrie dédiés à la dysphorie de genre.
2. Le rôle de l’École
Faire confiance à la communauté éducative
En tout état de cause, l’Ecole ne peut en aucun cas devenir un lieu dont la société pourrait forcer les portes à coups de menaces ou d’anathèmes sur la communauté scolaire : nous réprouvons donc vigoureusement l’approche envisagée consistant à aborder ces questions par des injonctions ou l’ombre de sanctions à l’endroit des équipes enseignantes.
Du reste, le traitement de ces problématiques est éminemment complexe et assurément irréductible à une règle unique ou une réponse systématique : chaque cas est par nature un cas particulier et réclame une véritable concertation de tous les adultes qui entourent et accompagnent l’enfant – parents, pédagogues, médecins, psychologues.
Or, cette concertation ne peut sereinement voir le jour que dans un climat de confiance, et non de défiance : les mesures les plus appropriées doivent pouvoir être discutées librement entre les différents protagonistes, sans passer par le biais de processus légaux sur le sujet, au risque de d’exacerber inutilement les tensions. Il nous semble capital en pareille circonstance que l’institution fasse confiance à la communauté éducative pour travailler de concert avec les familles et les élèves concernés.
Pour conclure
D’un côté on souhaite dépsychiatriser la « dysphorie de genre » et dans le même temps on sollicite la pédopsychiatrie pour un diagnostic qui aboutira probablement à un traitement : les bloqueurs de puberté et/ou des traitements hormonaux qui sont prescrits à des mineurs qui ne « se sentent » pas appartenir à leur sexe biologique. Le diagnostic étant nécessaire pour la reconnaissance du tort subi et l’ouverture de « droits ».
C’est une reconsidération des discours sur l’enfance à quoi nous assistons guidée par des idéologies qui se traduisent dans les faits par de nouvelles catégories diagnostics et aux traitements qui les accompagnent, des traitements qui certes existent déjà mais pas dans ce cadre où ils peuvent être considérés comme expérimentaux.
Avec une redéfinition des droits de l’homme, c’est la notion d’inclusion qui s’impose à tous les niveaux de la société et notamment à l’école. L’École doit s’adapter à tous les élèves, elle doit créer des dispositifs pour tous les élèves selon des catégories diverses et parfois peu objectivables. Ce n’est plus l’élève qui doit s’adapter à un modèle valable pour tous (universaliste et républicain) mais l’École qui doit se préoccuper de toutes les particularités de ses élèves au risque de devoir faire face au désaccord des parents (et leurs associations respectives). Mais encore une fois, ces nouvelles normes ne sont que des effets de discours.
On observe un écart entre ces discours et les pratiques cliniques qui sont à entendre au cas par cas et qui sont bien plus complexes et contradictoires qu’on le laisse entendre.
Ne pourrait-on pas penser que la « dysphorie de genre » telle qu’elle est définie dans le DSM relèverait davantage d’un « programme politique » à l’instar du TDAH (19) ? On observe une passion pour les évaluations, les diagnostics afin d’étiqueter les enfants. Et à chaque étiquetage on risque de produire des protocoles voire une nouvelle langue ou un vademecum (cf. transphobie) afin de ne pas stigmatiser les enfants qui relèveraient de ces catégories (autistes, TDAH, trans…). Mais n’est-ce pas là réduire ces enfants à des identités forcément figées ? Ne risque-t-on pas de faire de ces enfants-identités des étendards de la cause des adultes ? Qu’est ce qui est projeté sur l’enfance de la société et du trouble qui la traverse, de la crise de la culture ?
Il convient de prendre soin de l’enfant c’est-à-dire de lui donner la possibilité de grandir en le préservant des projections des adultes afin de ne pas confondre la langue des adultes avec elle de l’enfant.
NOTES:
(1) https://tradfem.wordpress.com/2020/02/07/dossier-trans-les-agents-bloqueurs-de-puberte-de-plus-en-plus-contestes-the-economist/
Selon Jean Chambry dans sa conférence du 3 février2021 au Cercle Freudien, il y a dix ans lors de l’ouverture du CIAPA (Centre Intersectoriel d’Accueil pour Adolescent à Paris, il y avait environ dix demandes par an, en 2020 c’est plutôt dix demandes par mois (uniquement pour la région Ile de France).
(2) Comme c’est le cas pour les films de Michael Moore par exemple, car il ne respecte pas les codes du contrat documentaire, cf. Lipson, D. (2015). Michael Moore et le nouveau contrat documentaire : de l’info-argument à l’info-tainment. Revue française d’études américaines, spécial 145(4), 142-158. https://doi.org/10.3917/rfea.145.0142
(3) Le documentaire ne semble pas montrer que l’enfant et sa mère aient été informés pleinement des conséquences du choix de transition médicale en ce qui concerne la capacité d’avoir des enfants. Si Sasha devenait une femme trans, elle ne pourrait en l’état actuel de la législation française avoir des enfants en utilisant ses gamètes. En effet, seule, elle ne pourrait pas les utiliser (même en ayant recours à de la chirurgie médicale, elle n’obtiendra pas un corps de femme lui permettant de porter des enfants). Si elle était en couple avec une femme biologique, elle ne pourrait utiliser ses gamètes qu’en recourant à une PMA. Or, la PMA n’est possible à ce jour en France que pour les couples hétérosexuels. Si elle était en couple avec un homme biologique, elle ne pourrait utiliser ses gamètes qu’en recourant à une GPA, interdite en France.
(4) Ces implications ont été précisées comme suit par la Haute Cour de Londres le 1er décembre 2020 dans le jugement Bell v. Tavistock, [2020] EWHC 3274 : (i) les conséquences immédiates du traitement en termes physiques et psychologiques ; (ii) le fait que la grande majorité des patients qui prennent des bloqueurs de puberté prennent ensuite des hormones sexuelles croisées et donc qu’ils sont sur la voie d’interventions médicales beaucoup plus importantes ; (iii) la relation entre la prise d’hormones du sexe opposé et la chirurgie qui s’ensuit, avec les implications de cette chirurgie ; (iv) le fait que la prise d’hormones du sexe opposé pourrait bien conduire à une perte de fertilité ; (v) l’impact de la prise d’hormones du sexe opposé sur la fonction sexuelle ; (vi) l’impact du choix de ce traitement sur les relations dans le futur et tout au long vie ; (vii) les conséquences physiques inconnues de la prise de bloqueurs de puberté ; et (viii) le fait que la base de données pour ce traitement est encore très incertaine. (traduction libre).
(5) Article L141-5-2 du Code de l’éducation
(7) Haute Cour de Londres le 1er décembre 2020 dans le jugement Bell v. Tavistock, [2020] EWHC 3274
(8) Section 8 du « Family Law Reform Act” de 1969
(9) Possibilité créée par le jugement Re W (Medical Treatment: Court’s Jurisdiction) [1993] Fam. 64
(10) Comme l’expose le Dr Lisa Littman, dans une étude portant sur l’influence des réseaux sociaux sur les dysphories de genre soudaines. Cf. Lisa Littman : Rapid Onset Gender Dysphoria in adolescents and young adults: A study of parental reports, 2018.
(11) Cf. Thèse de Philosophie, Devita Singh, A Follow-up Study of Boys with Gender Identity Disorder, Toroonto. & « Si l’on n’intervient pas, la majorité des enfants dysphoriques se réconcilient avec leur sexe biologique à la puberté et se rendent compte qu’ils sont tout simplement gays. Mais si on les met sur des bloqueurs, cela n’arrive pas. » Dr. Susan Bradley.
(12) Témoignage écrit d’un père qui pour le moment a gardé l’anonymat mais qui est prêt à témoigner ouvertement.
(13) A ce sujet voir cet article https://www.transgendertrend.com/suicide-by-trans-identified-children-in-england-and-wales/. Cet article du Pr. Mickael Biggs (Sociologie, Oxford) sur le taux de suicide des jeunes transidentifiés, tend à montrer a) que si la transidentité peut être un facteur aggravant, elle reste néanmoins bien en-deça de l’anorexie et de la dépression et b) qu’elle ne peut être considérée en faisant abstraction du lien autisme-transidentité (l’autisme étant en soi un facteur de suicide aggravant).
(14) Études retoquées, incomplètes, ou qui extrapolent les résultats. Cf. https://medicine.yale.edu/news-article/26859/, mais aussi les enquêtes réalisées pour le jugement Bell contre la Tavistock Clinic ainsi que l’enquête du documentaire Suédois Trans train.
(15) Cf. Bell vs Tavistock mais encore des témoignages d’adultes. Également ce documentaire suédois Trans Train qui relate des témoignages de personnes transgenres qui font part de leurs questionnements voire leurs critiques eu égard aux traitements médicaux
(16) Cf. Vidal, par exemple la fiche concernant le Decapeptyl, freinateur de puberté.
(17)https://pubmed.ncbi.nlm.nih.gov/30073551/
(18) Témoignage d’un homme trans : https://quillette.com/2020/10/06/forget-what-gender-activists-tell-you-heres-what-medical-transition-looks-like/
(19) T. Garcia-Fons, « Le déni de l’enfance », à paraître dans Solving the Mental Health Puzzle: Charting a Course from Mental Disorders to Humane Helping, USA, 2021.